jeudi 21 novembre 2019

21 février


           La fièvre se réveille tous les soirs, et au matin elle est encore là. Presque inchangée. Elle mordille les oreilles de l’intérieur. Elle coupe la faim de la glotte, et la soif peut attendre, la soif s’écoule à contre-sens tel un fleuve remontant les montagnes. La fièvre intime de tenir sa position, quelle qu’elle soit, le jour c’est debout. Couché, assis. La fièvre aussi est un chien.
           On est tenté de lui jeter des cailloux, il sent mauvais. Sa gueule ouverte qui n’en finit pas de haleter, qui ouvre directement sur l’estomac. Plutôt regarder le ciel ou s’il n’y a pas de ciel sa lumière, paupières baissées, et se balancer dans le hamac comme dodelinent les feuilles du palmier. L’heure est tropicale, Vous pouvez arrêter de percer du béton, à côté ?!
           On ne s’entend plus rêver, ça confine au délire. Boire c’est franchir des rapides, tu échoues sur la grève. Tu secoues tes cheveux le temps d’un fugitif arc-en-ciel. Tu reprends ton souffle. Quelque chose te pique la cuisse, c’est une plante grimpante, sale bête, lâche, mais lâche ! Tu la serres par le cou. Elle résiste, se débat. Peut-être n’est-ce qu’un remord en plastique.

mercredi 20 novembre 2019

20 février


           Est-ce que tu grooves ? Comment fais-tu pour ne pas, es-tu sourd ? Même le type sur sa chaise tressaute, à deux doigts de se lever. Sa jambe bat le rythme. Près des surgelés, un homme triste passe d’un pied sur l’autre, mine de rien, ses gestes sont synchronisés.
           Comment dansait le monde avant que ne naisse la soul music ? Même dans les sociétés primitives, on n’avait pas de cette joie-là. On en avait d’autres, et du désir aussi, et de l’avidité, mais cette âme-là, surgie de quelles profondeurs, où attendait-elle ?
           Il faudrait se lever chaque matin avec Otis Reding. Sentir l’âme revenir dans le corps et mouvoir les membres comme un étirement, se sentir plante appelée par le soleil et la pluie, animal en quête d’aventures nécessaires et superflues, homme ou femme verticaux.
           Try a little tenderness, pour changer. Ce serait un profond rapport au monde, et on la hurlerait cette tendresse, on la trépignerait, et on la prolongerait d’une mélancolie si douce, en alternance. Voudrais-tu ? Est-ce que tu m’accompagnes ?

mardi 19 novembre 2019

19 février


           Que se passerait-il si tu avais le droit ? Si on te l’avait donné ou si tu l’avais pris, que se serait-il passé ? Que serais-tu devenu ? Comment aurait – différemment – tourné le monde ? Ceux que tu aimes, t’auraient-ils aimé ? T’aimeraient-ils encore ? T’en voudraient-ils à mort ?
           Tu vas te réfugier à l’étage, dans la salle de bains dont le robinet goutte, où tout se dégrade depuis des années en l’attente d’une rénovation pour laquelle l’argent manque. On ne l’utilise plus, sauf quand les WC du bas sont occupés ou pour une rapide inspection dans le miroir.
           Telle mère, telle fille, cela te ferait rire si tu en avais le cœur. Elle n’en était pas vraiment fière, plutôt étonnée, ou sceptique. Tu viens de lui avouer ta crainte de mourir d’un jour à l’autre, avec tes enfants, selon une perspective non moins rapprochée que la sienne.
           Ceux dont tu dépends, dépends-tu réellement d’eux ou est-ce une illusion ? Dois-tu dépendre d’eux à jamais ? Dépends-tu d’eux parce qu’il te serait intolérable d’envisager que ce n’est pas le cas ? Ont-ils le droit de t’en vouloir ? As-tu chaud, as-tu froid, as-tu mal ?

lundi 18 novembre 2019

18 février


Franchement ce n’est plus possible. Tant de mesquinerie, de prétention et de médiocrité, ce monde confit dont vous entretenez l’élitisme, ce n’est plus tolérable. Vous vous croyez si intelligents… Si supérieurs… Si bien mis, si au fait des codes de votre bonne société, si spirituels dans vos réparties, si transgressifs (avec un petit frisson)… Vous maîtrisez avec style le passage du cynisme éclairé à l’indignation vertueuse, vos proclamations ont force de vérité intransigeante – car si l’on ne pense pas comme vous alors c’est qu’on pense mal. Et puis vous retournez à votre fauteuil, vous commandez au petit personnel un thé et des macarons. Ou une boisson d’homme. Ou vous prenez appui de l’épaule, négligemment, sur un chambranle, dans un appartement parisien aux moulures rénovées par les ouvriers de papa. Ou vous allez fumer un petit joint avec d’autres barbus sur le balcon – « Cette fille, l’amie de Stéphanie, elle a un de ces culs, tu ne trouves pas ? » Vous justifiez vos tromperies par la routine, l’ennui, le jeu. Vous abusez de votre pouvoir comme s’il n’était pas une donnée pertinente. Vous êtes fiers de vous affirmer dénués d’illusions (bien sûr vous avez tout compris de la vie et de la nature humaine). Vous avez des points de vue avérés sur les thèmes qui retiennent l’attention de votre génération, bien que les opinions que vous défendez puissent sans dommage intégrer des opinions contradictoires : vous pourriez défendre le contraire de ce que vous dites, quelle importance ? Vous appréciez les belles choses, et les personnes qui ont « de la classe » ; il va de soi que votre génération n’inclut pas les pauvres, les ratés, les victimes, les imbéciles, bref tous ceux que vos familles exploitent avec constance depuis la deuxième révolution industrielle. Vous ne détestez rien tant que l’idée de révolution. Vous croyez être un peu artistes puisque vous aimez la beauté. Les gens aujourd’hui n’ont plus aucune culture, c’est affligeant… Déplorez-vous dans un concert de hochements de tête. Vous vous sentez investis d’une mission : perpétrer l’excellence, le bon goût, le raffinement, une certaine manière d’être au monde. Vous vous targuez parfois d’irrévérence, telle une qualité très audacieuse qui ferait de vous une personne moderne, à l’aise dans tous les milieux, créative, positive, désirable. Si vous méprisez (intérieurement) vos proches, c’est qu’ils ne vous méritent pas. Ou qu’ils ne vous ont pas compris. La vie c’est comme ça, professez-vous, chacun agit selon ses intérêts. Cela vous convient parfaitement...
Allez au diable !

dimanche 17 novembre 2019

17 février


           Au programme, donc, la naïveté. L’oubli de ce que fut l’air du temps l’année précédente, et les années d’avant. Les souvenirs des premiers temps, c’est seulement dans les derniers temps qu’ils ressurgiront, comme intacts. En attendant, ils ne nous servent pas à grand-chose – nous avons mieux à faire. Nous avons à respirer un parfum de saison.
           Mais croirez-vous vraiment que nous sommes en automne, un dix-sept du mois ? Croirez-vous que nous connaissons l’actualité de ces jours-là (du moins celle dont un citoyen français moyennement impliqué est supposément informé) ? Croirez-vous que nous réagissons en ce mois de novembre-ci, dont le caractère automnal tombe sous le sens ?
           Les oiseaux chantent à qui mieux mieux l’espoir d’un futur. Le soleil, pour la première fois depuis longtemps réchauffe nos visages. Les parfums doux des arbres hésitent, sur le seuil. Binh-Dû desserre l’écharpe autour de son cou. Le meilleur est à venir, qu’on voudrait suspendre. L’éternelle jeunesse. Le meilleur d’une connaissance cyclique.