lundi 2 décembre 2019

2 mars


           Un hameçon planté dans ta lippe, d’accord tu es plus vif mais peut-être pas pour longtemps. Faut voir. On ne sait jamais. On a le fort soupçon d’être inexorablement tiré vers l’épuisette mais on se débat encore. Et au fond, qu’est-ce qui a changé ? Un raccourcissement d’espérance de vie mais dans quelle proportion, selon quelles valeurs absolues ? Auparavant tu tournais en rond dans ton lac, business as usual. Tu ressentais une démangeaison ici ou là, tu donnais des coups de nageoires. Ton métabolisme routinier épargnait tes dépenses de vivacité.
           Rien vu venir mais tu as très mal à la tête, ça te lance. Tu as peur, tu t'agites en tout sens dans l’espoir de te débarrasser du sentiment de la fin. Et puis tu te calmes. Tu t’assieds bien gentiment, souris, poses des questions, n’écoutes pas les réponses. Tu t’en fiches un peu, tu cherches juste à capter de la substance vitale avant de repartir comme un voleur. Ensuite tu as honte, bien entendu. Tu te repasses le film, comprendre ce qu’il s’est passé, ce qui aurait pu se passer différemment. Tu présentes tes excuses. Peut-être avais-tu besoin de réconfort ?

dimanche 1 décembre 2019

1er mars


           Pas besoin d’être en couple pour attendre. Le nombre de positions qui ne nécessitent aucune condition préalable, quand on y pense ! Non, ce n’est pas exact, plutôt : le nombre de conditions préalables qui n’ont aucun rapport avec une position quelconque. L’attente, par exemple. Inutile de penser au sexe.

           C’est affaire de réflexe. Imaginons que tu es en couple. Vous êtes amoureux, l’un de vous deux, du moins. Peu importe que ce soit toi – bien que a priori on te le souhaite. On t’affirmerait que c’est la meilleure position, quitte à y souffrir plus fort. (Oh, tu la tiens dans tes bras pendant que le métro entre dans la station, puis elle se dégage, et tu restes sur le quai dans un fracas dégressif.) Mais vous pouvez très bien être amoureux l’un et l’autre, aucune contre-indication. Seulement l’un, l’autre, ou les deux, vous attendez. Pour vous qui n’en êtes qu’au début, l’attente est le soupçon de la déception.

           Ou bien essayons l’optimisme. Rappelle-toi, les préjudices, les bénéfices, l’instinct du brochet. On vous présente, premiers regards soutenus un peu au-delà de la simple convenance, sourires, amabilités. Deux politesses qui espèrent sans vraiment y croire – et c’est quoi ton métier, concrètement ? Les questions qui ne sont pas posées – considères-tu ta solitude comme un préjudice ? Tu repenses à ton grand amour de jeunesse, parfois elle ne veut plus voir personne. Elle répond qu’elle fera signe quand ça ira mieux. Tu attends. Elle attend – que ça aille mieux. Et s’il s’agissait d’être plus vifs ?

samedi 30 novembre 2019

30 février


Le lendemain du 29 février, ça peut se concevoir.
Mais la veille du 31 février ?
Heureusement, dès décembre,
Tout rentrera dans l’ordre.

vendredi 29 novembre 2019

29 février


À trois mois de distance le 29 février est un mystère.
À neuf mois de distance le 29 février est un mirage.
Demain déjà sera
plus radicale impossibilité
qu’aujourd’hui.

jeudi 28 novembre 2019

28 février


Tu voudrais rendre hommage à ceux qui mourront avant toi, qui font déjà vingt ans de plus que leur âge. Ou vingt ans de moins, c’est le même trouble (ah mais en fait, il n’est pas si vieux / si jeune que ça). Dans tous les cas il y a un verre de bière à la main, et le liquide ambré tremble un peu. Tu entres dans leur cahute surchauffée comme tu retournerais dans un passé vaincu, où pour la première fois un parti fasciste était au second tour de l’élection présidentielle, où l’on fumait dans les bars à n'y plus pouvoir respirer (et quand on sortait sur le trottoir c’était pour accompagner les non-fumeurs), où l’on avait quantité de projets qui ne nécessitaient pas qu’on s’y mette sur-le-champ. On avait décroché de la réussite, on se croyait libres. On ne prenait pas la mesure de notre dépression. Aujourd’hui, qu’elle est faible l’espérance de ceux qui ont subsisté ! Ils sont des rescapés précaires au sourire triste, il y a beaucoup de bienveillance autour d’eux et cela sans doute leur suffit. Qu’espérer encore, de plus fort ? Ils ont goûté à tous les artifices. Ils conservent la fierté de leurs refus. La nuit ils regardent une enquête sur les arnaques à l’huile d’olive ou ils relisent Gaston Bachelard, c’est égal. La nuit dans nos lits nous sommes seuls et nous avons mal au crâne. Ils te font peine. Mais est-ce cela qui te fait t’enfuir bien avant le dernier métro, sobre et avantageux ? Quelle est la mesure de ta propre peine ?

mercredi 27 novembre 2019

27 février


À la fin, tu ne comprendras même plus le désir. (Tant que tu comprends le désir, ce n’est pas la fin.) Alors qu’au début, souviens-toi, tu étais tenaillé par l’obsession sublime, telle une tension constamment à fleur de peau. (Quiconque comprendrait le désir serait en grand danger de ne plus le ressentir.) Tu courais dans les escaliers de la grande maison, de la cave au grenier, cherchant des recoins, trouvant des trésors, tu t’enivrais de sueur et d’humeurs, tu volais des images époustouflantes d’exotisme, tu recréais l’alchimique magie des mots. (Croire que l’on comprend est moins périlleux ; mais s’indifférer de comprendre ou non, voilà ce qui t’aura manqué.) On continue à te poser des questions, mais de quoi parles-tu depuis que ton impératif premier n’est plus de noyer le poisson ? (À la fin on te demandera si tu as bien dormi, et le seul désir que tu percevras sera celui d’une réponse positive, soit un déni de toute ta personne, hors calcul de commodités.) Dans ta solitude retrouvée tu évalues le rapport entre potentiels bénéfices et potentiels préjudices – si un brochet en est capable, pourquoi pas toi ? (Le désir est une avidité.) Au doigt levé. Souviens-toi, il s’agissait de réagir vite. (Mais je t’en supplie, n’abdique pas devant les algorithmes.)

mardi 26 novembre 2019

26 février


           Sans nuages, plus de rêves, c’est aussi simple que cela. Tu marches, tu marches, tes pas se font de plus en plus lourds, ils raclent le sol pierreux, ton corps se voûte. Tu regardes le mouvement de tes pieds, pire qu’un cheval (personne sur ton dos). Il reste encore de l’eau à boire, tu fermes les yeux pour ne pas les brûler au soleil zénithal. Non seulement le soleil t’aplatit mais tu essaies de coïncider avec ton ombre, comme dans l’espoir fou d’obtenir un peu de fraîcheur. Ce qui fait qu’il est toujours midi. Non, on ne peut pas qualifier ça de rêve.
           Ni de cauchemar, de toute manière la distinction ne devrait avoir de sens que pour les enfants. Ils ne sont pas stupides, ils se sont réfugiés dans la maison. Ils jouent à se faire peur, à l’abri des murs de pierre, comme dans un mausolée. Toute maison où vivent des enfants en famille est un mausolée parental. Tout rêve conçu dans un cube est un rêve de cube. Quand bien même il n’en prendrait pas les apparences. Crois-tu pouvoir choisir, entre le trottoir éventré, le jeu de timbres noirs, le départ nocturne par les collines ? C’est un même vide.