jeudi 28 novembre 2019

28 février


Tu voudrais rendre hommage à ceux qui mourront avant toi, qui font déjà vingt ans de plus que leur âge. Ou vingt ans de moins, c’est le même trouble (ah mais en fait, il n’est pas si vieux / si jeune que ça). Dans tous les cas il y a un verre de bière à la main, et le liquide ambré tremble un peu. Tu entres dans leur cahute surchauffée comme tu retournerais dans un passé vaincu, où pour la première fois un parti fasciste était au second tour de l’élection présidentielle, où l’on fumait dans les bars à n'y plus pouvoir respirer (et quand on sortait sur le trottoir c’était pour accompagner les non-fumeurs), où l’on avait quantité de projets qui ne nécessitaient pas qu’on s’y mette sur-le-champ. On avait décroché de la réussite, on se croyait libres. On ne prenait pas la mesure de notre dépression. Aujourd’hui, qu’elle est faible l’espérance de ceux qui ont subsisté ! Ils sont des rescapés précaires au sourire triste, il y a beaucoup de bienveillance autour d’eux et cela sans doute leur suffit. Qu’espérer encore, de plus fort ? Ils ont goûté à tous les artifices. Ils conservent la fierté de leurs refus. La nuit ils regardent une enquête sur les arnaques à l’huile d’olive ou ils relisent Gaston Bachelard, c’est égal. La nuit dans nos lits nous sommes seuls et nous avons mal au crâne. Ils te font peine. Mais est-ce cela qui te fait t’enfuir bien avant le dernier métro, sobre et avantageux ? Quelle est la mesure de ta propre peine ?