dimanche 26 janvier 2020

26 mars


         Le confort est un repli, le confort est une abstraction. Un rêve organisé, comme on le dit de certains voyages. Le confort est un voyage pour valise à roulettes – hors macadam ça ne passe plus. Un « agréable voyage », ainsi que nous le souhaite sans en rien penser le conducteur du train. (Ses intonations montantes, inculquées en stage d’expression orale.) Le confort est une concrétion, un mausolée en construction. Rempli d’objets-doudous. On n’y a pas mal. On s’y fait. On y meurt. Le confort est un progrès sans suite. Une merveilleuse chance de durer. Le confort est une garantie et un poison lent. Le confort est une menace d’épouvante. Où est ma tablette de chocolat ? Le confort est une addiction.
         Ils vivent avec le sentiment de ne pas avoir le choix. Ils le disent : « Je n’ai pas le choix ». Au téléphone dans le train, refermant leur laptop, il y a de la fierté dans le constat. Une image de soi, courageuse, résignée, nostalgique déjà de la vie qu’ils auront dilapidée. Toute cette humanité vaincue. On pourrait les décrire à l’infini. Leur conformisme, leurs petites audaces, leurs doudous d’adultes. Un air égaré. Tous pareils – tous amochés. Et soi ? L’espoir de ne pas être autant zombifié.
         Mon confort n’est pas le tien. Mais mon confort est comme le tien. Il me rend peureux. Pusillanime. À cause de mon confort je préfère ne pas. Il est collant. Il ne suffit pas de s’en détacher, impossible, il faut s’en arracher.

samedi 25 janvier 2020

Vivaces #17

Mon ordinateur portable me manquait tellement que j’en eus presque le vertige. Mon téléphone portable, qui se nichait si confortablement dans la paume de ma main qu’il en était devenu comme une excroissance, une sorte d’œil lumineux rectangulaire, me manquait aussi.
Je ne parvenais pas à saisir la logique de cette machine. Était-il possible qu’elle soit aussi rudimentaire, qu’elle serve seulement à… taper… ?
Pas d’Internet ? pas d’e-mails ? Pas de textos ? Seulement pour… – taper… ?
Il n’y avait aucun endroit pour regarder dans ou sur la machine à écrire ! Il n’y avait pas d’écran.
Cela me perturbait de penser que cette machine grossière ne se connectait pas à une quelconque réalité à part elle-même. Que ce n’était – qu’une machine.

(Joyce Carol Oates, in Le petit paradis)

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Le monde sera un jeu, avec des scores qui s'afficheront à l'écran. Et tout ça ? Toutes ces choses que selon vous les gens veulent vraiment ? La vraie vie ? Bientôt on ne se rappellera même plus comment c'était.

(Richard Powers, in L'arbre-monde)

mercredi 22 janvier 2020

Hybrides #30

Attendez que votre chef vous contacte et, si lui ou elle ne le fait pas, apprenez avec soulagement que la Compression du Personnel est passée à côté de votre porte. Pourtant, il est honnête de vous informer que ceux qui n’ont pas été concernés par les premiers licenciements pourraient l’être par les deuxièmes et peut-être même par les troisièmes. Tout dépend de la façon dont fonctionnera la Compression. Toutefois, si l’un de vous reçoit un premier avis de licenciement, puis un second, considérez ce dernier comme superflu et n’en tenez pas compte. Nous ne vous renverrons qu’une seule fois.
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De tous les endroits où j’ai été, poursuivit le jeune homme, je suis parti très vite, parce que je n’ai pas eu envie de croupir à mon âge dans une étroite et stupide vie de bureau, même si les bureaux en question étaient de l’avis de tout le monde ce qu’il y avait de plus relevé dans le genre, des bureaux de banque, par exemple. Cela dit, on ne m’a encore jamais chassé de nulle part, c’est toujours moi qui suis parti, par pur plaisir de partir, en quittant des emplois et des postes où l’on pouvait faire carrière et le diable sait quoi, mais qui m’auraient tué si j’étais resté.

George Saunders (Pastoralia)
& Robert Walser (Les enfants Tanner) 


lundi 20 janvier 2020

Hybrides #29

EAN signifie États d’Amérique du Nord – plus formellement connus sous le nom d’EANR – États d’Amérique du Nord Reconstitués, qui ont vu le jour quelques années après les Grandes Attaques Terroristes et sont la conséquence directe de ces attaques, comme on nous l’a enseigné.
Les Attaques ont été suivies d’un Interlude d’Indécision, durant lequel la question des « droits » - (la Constitution, la Déclaration des Droits, les lois concernant les Droits Civiques, etc.) -, opposée au besoin d’une Vigilance Patriote dans la Guerre Contre la Terreur (VPGCT), était contestée, débat qui s’est soldé par une victoire de la Vigilance Patriote après suspension de la Constitution et de la Déclaration des Droits par ordonnance de l’exécutif. (Je sais, c’est difficile à comprendre. Dès qu’on arrive à la fin d’une phrase de ce genre, on en a déjà oublié le début !)

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C'est George Bush qui s'arrête dans une école primaire pour parler d'éducation. A la fin de son discours, il demande aux écoliers s'ils ont des questions. "- J'en ai deux, répond le petit Mike en levant la main : Où est Oussama Ben Laden ? Et où sont les armes de destruction massive ?" A ce moment, la sonnerie retentit et les gamins s'éparpillent dans la cour. A leur retour, Bush reprend : "Alors les enfants, vous avez des questions ? - J'en ai quatre, monsieur le Président, répond une voix timide au fond de la classe, Où est Oussama Ben Laden ? Où sont les armes de destruction massive ? Pourquoi la récré a-t-elle sonné avec vingt minutes d'avance ? Et où est passé Mike ?"

Joyce Carol Oates (in Le petit paradis)
& Eddie, un sans-abri de Manhattan (cité par Olivier Pascal-Mousselard dans Télérama du 13 mars 2004)