vendredi 24 avril 2020

vous avez pris votre petit-déjeuner ?


24 avril

- Vous avez pris un petit-déjeuner ?
- Il y avait un stand sur le parking. J’ai dansé sous les balles et gagné une bactérie.
- Très bien alors.
- La femme que j’aimais m’a pointé du doigt avant de tirer, elle riait.
- Excellent.
- Ensuite j’ai vu qu’un gamin avait ramassé une de mes chaussures.
- Bel esprit d’initiative.
- Ça lui faisait un pied beaucoup trop grand.
- À cet âge, on pousse vite !
- À l’école on leur a appris le sida et l’accouchement, même aux garçons.
- C’est la modernité.
- Et puis ils ont lâché des oiseaux pour voir s’ils retombaient, c’était une expérience en lien avec la recherche spatiale si j’ai bien compris.
- Ces choses-là sont secret-défense, vous feriez mieux de vous en tenir à distance.
- Et pour finir j’ai retrouvé mes clefs.
- Alors tout est bien qui finit bien, remettez-vous au travail.

jeudi 23 avril 2020

nous aurions besoin de douceur


 23 avril

Nous aurions besoin de douceur. Entre les dalles du pavage, de petits amas de terre révèlent l’activité secrète d’insectes urbains. Ils grattent la terre en profondeur, l’ingèrent, l’expulsent, ils creusent des galeries au-dessus du métro. Ils esquissent un paysage que les pieds des passants évitent comme s’il était sale.
Tu connaissais les recoins, les accidents de terrain, les crépis émiettés, la rouille des balustrades. Tu voyais grand, étant petit. Ce qui te distingue des enfants, en premier lieu c’est la taille que tu as acquise. C’est aussi la première chose qu’ils voient de toi, ce que tu es devenu. Mais le terrain de jeu est intact.
La laideur même n’entre pas en ligne de compte, ni les balafres infligées à la beauté du monde, ni l’extension de sa toxicité, ni même ses extensions aseptisées. Pour celui qui naît la vie est neuve, elle est merveilleuse. Ce qui a changé c’est la dimension de ton désir, seulement cela, et ton acuité conceptuelle. Es-tu aimé ?

mercredi 22 avril 2020

les branches de lilas débordent des jardins


22 avril

Les branches de lilas débordent des jardins, on inspire plus fort en fermant la bouche. Et les yeux pour se protéger des moucherons. Le smartphone d’une jeune femme tombe sur le macadam, sans casse grâce à sa coque. C’est bien conçu, commente sa collègue avant de mordre dans un sandwich.
Les oiseaux ne font pas leur nid à proximité d’une maison en construction. C’est pour ça qu’on entend surtout des sons de marteaux, de perceuses, de bétonnière, et les cris des ouvriers. Pour supporter leur métier, il a fallu qu’ils deviennent sourds. Ainsi des arbres meurent et les souvenirs se déplacent.
C’est le glissement ordinaire des générations. Le décor du désir n’a pas changé autant que nous le déplorons mais nous avons pris de la distance, nous nous sommes peu à peu exilés de nos sens. La ville est toujours mal finie, friable, aiguë, risquée, inattendue, et les gens sont toujours étranges.

mardi 21 avril 2020

les paulownias qui n'ont pas encore été arrachés commencent à fleurir


21 avril

 Les petites mouches ont commencé à suppléer les oiseaux. Depuis que Binh-Dû laisse sa fenêtre ouverte la nuit – commencée tard –, et se réveille à la lumière du jour ?
       Les paulownias qui n’ont pas encore été arrachés commencent à fleurir. Seront-ils aussi odorants que l’année précédente ? Serons-nous aussi adorables ?

       Le terrain de jeu de notre enfance a disparu, semble-t-il. C’était partout, à tous les coins de rue. Mais en fait, il est toujours là, c’est juste qu’il y a de nouveaux enfants.
       Ils ne sont pas comme nous parce que nous ne sommes plus comme eux. Binh-Dû observait une tortue grecque se frayer un chemin parmi les salades. Il avait une amie fille.
       Est-ce la même tortue que promène cette dame entre deux âges, non elle est bien trop jeune et c’est un mâle. Elle avance lentement parce qu’elle arrive de la préhistoire.

       L’amie de Binh-Dû désespère de trouver un café en terrasse où boire du jus de gingembre pour faire passer la gueule de bois. Lui s’en tiendrait à un diabolo.
       Ensemble ils ont vu un jongleur lancer de la terre et du foin. Cette vie est souhaitable, des oiseaux chantent toujours. Elle fut, elle serait souhaitable. Elle donne soif.

lundi 20 avril 2020

Attentives #8

     Chercher la conscience à sa source ne peut pas être une pensée, mais un vécu total. (…) Certes, cette conscience est encore ressentie comme : "je suis moi". Vous ne perdez pas encore les points d’appui habituels. Vous affermissez la présence à soi-même mais à un niveau beaucoup plus profond et beaucoup plus silencieux. C’est un « je suis » qui implique à la fois la pensée, le sentiment et la sensation. Vous allez vers une réalité d’être, toujours présente en vous, à la source de vos états conditionnés et de vos identifications. Et si vous êtes bien centré dans ce "je suis", vous reconnaissez que ce "je suis", même très pur, est encore limité. Je suis moi, c’est toujours un "je suis" individualisé. Moi à un niveau beaucoup plus profond, plus réel, mais ce n’est pas encore une conscience dans laquelle le moi, l’individualité limitée a disparu, même si ce moi est devenu très pur.
     Vous pouvez sentir que vous aspirez à passer encore au-delà, à être libéré de ce moi à partir duquel naissent tous les désirs, toutes les peurs, l’insatisfaction, l’incomplétude, la frustration. Si même ce moi purifié pouvait s’effacer, toute limite et toute finitude s’effaceraient aussi. Seule règnerait la conscience pure, et cette conscience, elle, est béatitude infinie. Votre démarche est donc d’abord une affirmation puis un effacement, une présence puis une absence. Plus la conscience qui dit "moi" s’éteint, plus vous vous retrouvez, comme si vous vous étiez d’abord perdu.

Arnaud Desjardins (in Approches de la méditation)