Il
regarde la télévision la tête penchée, les yeux plissés sous les paupières. Une
femme traite de la discrimination positive sur les marches d’un tribunal. (…)
- Pourquoi est-ce que les Noirs parlent toujours des Noirs ? Tu n’as jamais
remarqué ça ? demande mon père. (…)
-
Parce que, dans ce pays, ils sont définis par leur couleur de peau et qu’ils
ont dû se battre pour obtenir tous les droits élémentaires qui nous sont
automatiquement accordés du fait que nous sommes nés blancs.
-
Se battre pour leurs droits ? Cette femme se bat pour l’inégalité. Cette
femme veut qu’un étudiant noir médiocre soit préféré à un autre étudiant
brillant. Elle se bat pour leur droit à frauder.
Ma
réplique se construit promptement. Je ne manque dorénavant pas de munitions sur
ce sujet, néanmoins tout mon savoir ne me sera d’aucune utilité pour gagner un
combat contre mon père. Il s’accrochera à sa position, en dépit de tout bon
sens ; il s’y accrochera comme si c’était sa vie et non son opinion qui
était en péril. Il se montrera méchant, cassant, et tous les sentiments négatifs
qu’il a pu éprouver contre moi se déverseront de sa bouche. Il faudrait
beaucoup de temps pour parvenir à ce que mon père se débarrasse un jour de sa
rhétorique raciste et antisémite. Cela nécessiterait une rééducation complète.
Ses préjugés sont un méli-mélo de haine de soi, d’ignorance et de peur. S’il
était possible de déraciner et d’examiner ces instincts, peut-être n’aurait-il
pas besoin de boire autant pour fouler aux pieds la douleur qu’ils génèrent.
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« L’usine où j’ai travaillé toutes ces années. Faudrait que tu la voies
maintenant. Rien que des Mexicains. A mon époque on avait des syndicats qui
s’occupaient de nous. Puis les Mexicains sont arrivés et ils ont tout pris ce
qu’on s’était emmerdés à gagner.
- Je vois. Les immigrants mexicains illégaux ont envahi ton usine, ont mis
les types blancs à terre, les ont conduits à la sortie, et puis ils ont dit à
l’entreprise : "Hé, patron, nous, on n’a pas besoin des salaires
minimum syndicaux." C’est comme ça que ça s’est passé ?
- Pas exactement.
(…)
- S’il n’y a que des travailleurs mexicains dans cette usine aujourd’hui,
c’est parce que personne d’autre ne veut faire un boulot aussi dangereux pour
un salaire aussi minable.
- Ouais, ils ont changé la loi. Maintenant, elle dit qu’il faut embaucher
tout le monde à part les Blancs. Des filles aussi, ils ont des filles là-bas maintenant. C’est pas
naturel.
(…)
- Les lois auxquelles tu penses prônent l’équité en matière d’embauche.
Elles exigent des compagnies qu’elles retiennent les candidatures de gens
qualifiés, c’est tout. Sans considération de race ou de genre. Pas à cause de.
- Le truc, c’est que s’il y a des filles et des Mexicains dans une usine, il
n’y aura pas assez de travail pour les hommes. Voilà ce que je dis.
- Alors nous les filles, on devrait rester à la maison et laisser nos maris
faire bouillir la marmite. C’est ce que tu proposes pour relancer
l’économie ? (…) Merde alors. T’as devant toi une mère de famille sans
boulot. Donne-moi une médaille, je fais ma part pour Dieu et le pays. »
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On est
arrivé à un point où la conversation est tellement éloignée des faits, les gens
se sont construit une telle idéologie autour de leur peur... qu’ils ne parviennent
plus à changer d’opinion après avoir constaté les faits et les avoir pris en
compte.
Si
vous rejetez l’immigration, par exemple, vous essaierez toujours de vous
convaincre que cette opinion n’est pas fondée sur la peur. Et donc qu’il y a
réellement un problème. Si je vous donne de nouveaux faits pour vous détromper,
c’est déjà trop tard : votre position est déjà fermement ancrée. Les gens
se forment des croyances qui permettent de justifier ce qu’ils font, ce qu’ils
pensent. Parce qu’il faut bien vivre avec nous-mêmes. Autrement dit, pour
qu’une conversation soit possible, il faut comprendre d’où viennent les gens
qui y participent.
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« Un
jour je me suis mise à saigner dans la rue. J’avais du sang partout, qui
coulait le long de mes jambes. C’est pour ça que j’aime bien les Noirs, parce
que c’est un Noir qui a appelé une ambulance d’une cabine téléphonique. »
Chris m’a
regardée d’un air un peu incrédule.
« Tu ne
peux pas aimer une race entière sous prétexte qu’un de ses représentants a été
gentil avec toi, a-t-il dit.
- Eh bien,
je hais les Bosniaques parce que l’un d’entre eux a été odieux avec moi, ai-je
répondu.
- A mon
avis, tu devrais prendre des échantillons plus importants », a fait
remarquer Chris.
Je savais
qu’il avait raison, mais je suis comme ça.
Lily King (in La pluie et le beau temps)
& Barbara Kingsolver (in Des vies à découvert)
& Esther
Duflo (entretien dans L’Obs du 3 mars 2020)
& Louis de
Bernières (in La fille du partisan)