mardi 12 avril 2022
Rhizomiques #103
mercredi 6 avril 2022
Rhizomiques #102
jeudi 31 mars 2022
La confiance est l'antidote de l'espérance
La confiance, lis-tu, est l'antidote de l'espérance.
Tu te sens d'une lucidité désespérante.
Le fascisme semble à tes compatriotes une idée nouvelle.
Tes amies parfois se demandent ce que tu leur veux.
A chaque battement de cœur pourtant le ciel se recompose.
D'un côté ils brandissent leurs armes, de l'autre ils lèvent leur verre aux terrasses.
Il arrive aussi que l'amour soit refusé.
Chacun se croit lucide mais tout le monde ne se sait pas immortel.
Quelqu'un a-t-il déjà statué que nous sommes une société d'idiots gouvernés par des salauds ?
Tu ne veux pas finir comme ça.
Pour tes amies tu donnerais ta vie.
Et ce que tu ne donnes pas, du moins espères-tu l'inspirer.
mardi 29 mars 2022
Que s'est-il passé cette nuit ?
(Là, normalement, tu devrais avoir un rêve tout frais à raconter. Mais tu as beau chercher - que s'est-il passé cette nuit ? - tu n'en trouves pas trace. Ah si, il était question de masques, comme souvent, qui ne tenaient pas sur ton visage. Pas de quoi en faire toute une histoire.)
La normalité revient, telle est sa tendance. Revenir. S'adapter. La normalité d'aujourd'hui est l'anormalité d'hier. L'entropie, de la sorte, est une normalité. Il y a trois jours une manifestation antiraciste était annulée par le ministre qui participera demain à une manifestation fasciste.
Veux-tu vraiment chroniquer les glissements vers le malheur de ce monde où tu es né ? Cette mythologie bien réelle, souhaites-tu en être le scribe ? Non. Il te suffit de découvrir les progressions intimes du mythe que toi-même constitues à tes yeux et de te rêver aussi beau et généreux que possible.
À la jeune femme dont tu étais amoureux deux ou trois décennies plus tôt tu racontes un rêve dont elle est absente. Il y entre une grande douceur, comme une attente confiante. C'est un rêve de reconnaissance, lui dis-tu, et d'apaisement. Une utopie. Où l'on apprendrait, au fil du temps, à aimer davantage.
jeudi 24 mars 2022
La littérature est le contraire d'un reste
17 mai
(…)
Il n'y a que cela qui compte, et l'amour qui ne se mesure pas. Le reste, te souviens-tu, vaut d'être traité par le mépris. La littérature est le contraire d'un reste. La littérature, l'amour, les sensations jouissives. Ta kiné a mangé trop de gnocchis lors de sa pause-déjeuner, mais de vous deux ce n'est pas elle qui travaille le plus. Si le travail renvoie à la souffrance. Ta danseuse était à la torture pendant qu'elle voyait se déliter sa chorégraphie, son corps lui manquer, ses intentions s'effondrer. Tu fais en sorte de relever son moral – mais elle ne t'a pas attendu. Elle est plus souple que ta kiné, laquelle a su te redonner le sourire. Si ta kiné t'enjoint de faire dix pompes, bien que tout brûle en toi, tu obéis. Et tu en fais même douze, très loin d'une partie de plaisir.
mercredi 23 mars 2022
S'offrir un détour
16 mai 2021
L'insouciance donc. Il n'y a pas grand monde dans les rues, de la rubalise le long des trottoirs comme pour prévenir tout débordement piétonnier. Il y a des cars de CRS stationnés, des robocops caparaçonnés qui attendent, un camion blindé surmonté d'un canon à eau. C'est joli, Paris en état de guerre imminente. Tu n'es au courant de rien, tu ignores que depuis une semaine on détruit des habitations palestiniennes avec des Arabes dedans. Tu ne sais pas qu'ici un ministre fasciste a interdit que se tienne une manifestation anticolonialiste sous prétexte de lutte contre l'antisémitisme. Tu as oublié que ton pays trempe dans un bain de racisme de plus en plus saumâtre, que partout dans le monde prévaut la loi du plus fort, que l'humanité tout entière est en voie de destruction.
mardi 22 mars 2022
On traverse les averses en coup de vent
15 mai
Tu n'es pas vieux mais tu pourrais le devenir. Fais attention ! C'est le dernier matin de la résidence, les pigeons dodelinent et roucoulent sur le toit face à la fenêtre de ta chambre (oui, en plus du velux où la pluie, chargée de voyages exotiques, a laissé des traces de sable). Cette vue comblerait un moine ou un prisonnier. Tu regardes une cheminée en briques ébréchées sur les rebords, sa teinte orange, immuable, qui se marie avec celles du ciel.
Un bébé pleure, sa mère qui semble avoir tout juste quitté l'enfance l'apaise d'un Chhh à son oreille. Il te regarde de ses grands yeux, tu lui souris derrière ton masque ffp2 de canard. Tu es triste et en colère de ce qu'il ne puisse pas voir de sourire franc mais seulement un étrange plissement au niveau des yeux. Ce retard dans sa courte vie se rattrapera-t-il ? Une autre très jeune femme, qui a dit au revoir à sa famille sur le quai avant d'embarquer pour Paris avec deux grosses valises à rouettes, porte un pull tricoté bon marché et arbore des ongles artificiels fuchsia. Tu voudrais que quelqu'un lui dise qu'avec ces ongles elle ne rencontrera que des hommes brutaux, éduqués au porno. Tu as l'âge d'être son père, elle te jette des regards circonspects et ultra maquillés.
Tu vas de nouveau t'intéresser à la marche du monde, de retour chez toi et tes appareils connectés. Ces cinq journées ont-elles purgé quelque peu ton système ? A l'avenir il te faudra maintenir une certaine dose d'illusion, d'inconscience, de déni. D'optimisme même. Sinon ta vitalité s'effondrera. La fille aux ongles faux ne manque pas d'optimisme. Il se pourrait qu'elle porte également les espoirs de sa famille. Il se pourrait qu'elle se dirige résolument vers une carrière de star du porno qui témoignera d'une appréciable ascension sociale.