mercredi 23 mars 2022

S'offrir un détour

16 mai 2021

L'insouciance donc. Il n'y a pas grand monde dans les rues, de la rubalise le long des trottoirs comme pour prévenir tout débordement piétonnier. Il y a des cars de CRS stationnés, des robocops caparaçonnés qui attendent, un camion blindé surmonté d'un canon à eau. C'est joli, Paris en état de guerre imminente. Tu n'es au courant de rien, tu ignores que depuis une semaine on détruit des habitations palestiniennes avec des Arabes dedans. Tu ne sais pas qu'ici un ministre fasciste a interdit que se tienne une manifestation anticolonialiste sous prétexte de lutte contre l'antisémitisme. Tu as oublié que ton pays trempe dans un bain de racisme de plus en plus saumâtre, que partout dans le monde prévaut la loi du plus fort, que l'humanité tout entière est en voie de destruction.

Rester jeune. Les averses ont ravivé les senteurs des roses et des lilas, dans ton quartier paisible tu te souviens qu'à marcher vite tu ressens moins la fatigue. Il suffit juste de retrouver un rythme. Le ciel se couvre à nouveau en direction du vent, mais en te dépêchant tu pourras encore t'offrir un détour. Puis tu prends des nouvelles auprès d'amis nettement plus âgés que toi. Le peu de temps qu'il leur reste, pour courir encore, cultiver leur jardin, rendre visite à leurs proches d'une même génération. L'un d'eux évoque sa lassitude à être malade et sa crainte d'en mourir à la fin. Tu prends conscience que ton état n'est pas si grave. Une amie épistolaire, d'une demi-génération plus jeune que toi, te parle de littérature, tu lui réponds avec enthousiasme comme si cela seul importait.