La
perspective du Soleil du Grand Est repose sur l’appréciation de nous-mêmes et
de notre monde. (…) Nous prenons soin de notre corps, nous prenons soin de
notre esprit et nous prenons soin de notre monde. Dans la mesure où nous
percevons la sacralité du monde, nous devons constamment être à son service et
le nettoyer. Dans l’optique du Soleil Couchant, au contraire, le lavage et le
nettoyage devraient être du ressort des domestiques ; celui qui n’a pas
les moyens d’embaucher quelqu’un pour le faire s’occupe du nettoyage lui-même,
mais le considère comme une sale besogne. (…)
Dans
la perspective du Soleil Couchant, il faut se détourner autant que possible des
ordures, au point de n’avoir pas même à les regarder ; on se débarrasse
tout simplement des choses désagréables. (…) S’ensuit une hiérarchie sociale fondée
sur l’oppression : il y a ceux qui font disparaître les ordures et ceux
qui prennent plaisir à en produire. Les gens qui en ont les moyens peuvent continuer
à se repaître sans faire cas des restes. Ils peuvent se payer du luxe et se
désintéresser de la réalité. Ainsi, on ne voit jamais les ordures comme il
faudrait, et il est probable qu’on ne voit pas non plus la nourriture comme il
faudrait. Tout est compartimenté, de sorte qu’on ne peut jamais vraiment faire
l’expérience complète des choses. (Il ne s’agit pas seulement de nourriture,
mais de tout ce qui se passe dans le monde du Soleil Couchant.) (…)
Par
contre, la perspective du Soleil du Grand Est amène une approche très
écologique, une démarche qui provient d’une double prise de conscience :
en même temps que l’on découvre ce qu’il convient de faire dans une situation
précise, on voit l’enchaînement organique des situations. (…) Dans le monde du
Soleil du Grand Est, la hiérarchie est comme une plante fleurie qui pousse vers
le haut, alors que pour le Soleil Couchant, la hiérarchie est comme un
couvercle qui écrase les gens et les maintient à leur place. Dans l’optique du
Soleil du Grand Est, il est possible de cultiver même les criminels, de les
encourager à manifester une plus grande maturité ; par contre, dans l’optique du
Soleil Couchant ils sont irrécupérables et on les exclut, ils n’ont
pas l’ombre d’une chance. Ils font partie des ordures que nous préférons ne pas
voir.
(Chögyam
Trungpa, in "Shambhala – La voie sacrée du guerrier" (1984))