mardi 26 juin 2018

26 juin


Perpendiculaire serait égal, un lit est une croix, ajouterait-il s’il y avait lieu de repentir. Ce n’est pas vrai : il y aurait lieu mais il n’y a pas la place, la place est prise depuis dix jours. Les parallèles sont lancées dans la grande course du temps, déjà elles s’infléchissent, aux certitudes ne pas se fier. Si la mort était instantanée, que d’un coup il n’y ait plus rien, avant même le moindre sursaut de conscience – voire de sensation –, serait-ce préférable ? Tu lis ton journal et l’instant d’après : le néant. Ta postérité à jamais hors de question.
Dans l’allée du centre commercial une mère radieuse passe avec son bébé dans les bras près des tubes de néon verticaux qui le fascinent – « Presque attrapé ! Au suivant ! Bravo ! » Dans le jardin public, une dame en surpoids appelle d’une voix lasse les enfants dont elle a la charge – « Mangez un bout de gâteau ! Venez ! » S’il y avait repentir, il remonterait loin en amont. On effacerait la question originelle – « Qui voudra de moi ? » Et un soir comme celui-ci, le soleil plus bas que les nuages créerait un ciel à la Turner.

lundi 25 juin 2018

25 juin

Il n’y a pas un chat dehors. Des oiseaux dans les cerisiers sans plus de cerises. Des gouttes éparses sur le pare-brise, attestant qu’il a plu au cours de la nuit. Le départ du retour est toujours plus facile que celui de l’aller.
La température extérieure monte à contre-courant de l’altitude, à moins que ce ne soit dans le courant du jour qui s’avance. Quand elle diminuera à nouveau, ce sera peut-être le signe que le soleil descend ou que le Nord approche.
Entre le Sud et le Nord il y a surtout un premier amour, qui malheureusement ne sera pas disponible pour boire un verre au passage, vu qu’elle est couchée sur son dos bloqué. Compassion naturelle, et pointe de soulagement dans le regret.
Serait-ce déjà le retour du répit ? Dans un village où il ferait bon vivre, nulle âme par les rues ni aux fenêtres. Des équipements urbains dernière mode, acquis au salon des maires de France, un émoticône vert sourit et dit « Merci ! » à moins de 50km/h.
Tout bien réfléchi, demandons-nous plus à ceux que l’on choisit d’aimer ? Se consoler de l’éviscération d’un chat sur la chaussée en se disant que des vies d’oiseau seront préservées, possible, mais comment se consoler du déchirement d’un oiseau ?
Une vingtaine de jours de marche sans se presser, la distance sur pneus effectuée en un même laps de temps que la veille. (Pauses comprises, tituber dans des villages déserts.) Ce à quoi servent les voitures. La solution est l'abeille libérée par le hayon, loin de chez elle.

dimanche 24 juin 2018

24 juin

Celui qui s’inquiète de perforer la terre avec ses bâtons de marche soudain découvrira les pylônes plantés des remontées mécaniques. Le cheminement fut hideux longtemps dans ce paysage ravagé, mais indispensable à la découverte d’un vallon édénique juste avant le col.
Une, encore une prairie d’altitude parsemée de fleurs et dont l’herbe semble si tendre qu’on en mangerait. Deux, les pierres aussi stupéfiantes que les fleurs. Moins colorées, plus nervurées. Comparer leurs caractères. Trois les fées, ainsi qu’on appelle les concrétions rocheuses qui se découpent sur les crêtes quand le soleil se couche à leur hauteur.
La pierre est fractale de sa montagne, et l’éblouissement de la cornée fractal du soleil derrière les nuages (la tomographie cérébrale sera fractale au second degré). À la nuit on ne marche plus. On tâte du bâton la piste blanche. La fatigue a fait redescendre d’une arcade l’inconscience de la belle santé.

« J’ai décidé de renaître, jugeant qu’il y avait encore de quoi se réjouir. Oui, cette planète était belle ; la prochaine fois j’en chercherai une autre. »


samedi 23 juin 2018

23 juin

     Un, les nuages dirigés par le mouvement des yeux, sur la droite cet amas menaçant, par ici l’orée plus claire. Et le ciel dialogue avec Binh-Dû. [Tiens, le revoilà ?] Deux, les névés traversés, ils sont au rendez-vous, comme la réassurance que tout va bien en dépit des canicules. Pour le moment encore, tout va bien. Trois, l’eau bue à la source, dont l’esprit diffuse dans tout le corps. Encore, encore. Toujours courir parmi les fleurs et les mousses tendres.

     Retour dans les cirques magiques. La fluidité souvent laisse incrédule. D’autant que la nuit fut difficile : une chèvre avait mordu la main de Binh-Dû et les outils de l’infirmière (une scie crantée bonne à tailler dans le bois une béquille) ne lui inspiraient pas confiance. La femme qui lui voulait du bien masquait visiblement la crainte qu’il lui inspirait, et ne semblait pas vouloir le guérir d’un baiser. Lui-même, que voulait-il ? Il ne ressentait aucune douleur, mais la violence.

     Aucune douleur au jour, le ciel parfait avec ses nuages idéaux. Rien d’épique dans le bien-être et la beauté. C’en est presque fini de l’escapade, on n’ira pas plus loin à l’est. L’ombre des pluies se maintient à la frontière, l’humeur égale est raisonnable. Un serpent traversa le chemin. L’homme le regarda intensément, cherchant à comprendre son message. Le serpent s’éloigna dans les rhododendrons : « Mon ami, tu avais réclamé de la clémence. »

vendredi 22 juin 2018

22 juin

Un, c’est le paradis. Une succession de vallées d’altitude entourées de pentes plus ou moins sévères au-delà desquelles le ciel... Le paradis est sous le ciel. Deux, un papillon noir dont les ailes repliées, moirées de bleu, sont en forme de delta. Il n’a rien de spectaculaire. Posé sur le dos de la main découverte, il en suce le sel. Trois, une prairie semée de boutons d’or, de violettes, de gentianes et de myosotis, et d’autres fleurs encore dont le nom importe peu. La niverolle volette au-dessus de l’embarras du choix. L’air est doux. Comme ces montagnes sont bienveillantes... Quand un dantesque coup de tonnerre ébranle l’atmosphère.
Le mantra adéquat, à chaque pas, reste « merci », même la pluie s’abat en grêlons afin de ne pas tremper l’homme qui marche. Merci pour les intempéries qui reconnaissent au lieu sa force païenne. Merci pour les égarements qui aboutissent ici, et pour la permanence des bouquetins, des marmottes et des craves à bec rouge qui passent l’hiver sans la gêne d’une présence humaine. Merci tout autant pour les pieds de l’homme, ses jambes, son cœur, le ressourcement. L’expérience recouvrée de la volonté, dissimulée des mois durant sous les inquiétudes et les velléités. Merci quand, par l’effort consenti – les bienfaits dispensés.

jeudi 21 juin 2018

21 juin

(Binh-Dû s’est fait remarquer toute une saison. Il est un peu las de son nom. Voyons si l’on peut s’en passer.)

       Un, les cumulus qui s’élèvent à la verticale dans le ciel, derrière la crête des montagnes. D’une blancheur immaculée, identique à celle des plaques de neige accrochées aux parois. Puis se délitent. Deux, les gouttes de pluie en soirée, qui soulèvent des cratères sur le chemin de sable, tant elles sont grosses ; tant elles tombent de haut. Trois, le moineau qui vient s’agripper au rebord de la vitre fermée côté passager. Pour un peu il toquerait du bec un message énigmatique.
       Reprenons : aux pylônes des télésièges offensant le regard succéda une croix plus ancienne, tout autant superflue. Mais à son pied on ne la voit plus. Un chien patou tint à gueuler haut son hostilité, je ne vais pas les bouffer, tes moutons ! Fut-il rétorqué. La pluie a attendu un moment de tranquillité sous l’abri d’un chalet pour s’abattre, le soleil brillait, cela a duré. Puis le moineau.
       (Mais la pluie n’est pas si mémorable, reléguée aux lisières si l’objectif est de retenir trois moments parmi l’abondance nouvelle – ah, quittées les villes ! –, deux aurait été le torrent traversé, si froid que les pieds d’une certaine façon sont encore dans le fond, parmi les cailloux plats.)

mercredi 20 juin 2018

20 juin

Un, le parfum du jasmin. Qui atténue la canicule à venir. Deux, le goût du pain. Nous sommes sauvés. Trois, une douche en douce.
Dans les montagnes il fait seulement chaud. Alors qu’en plaine on meurt.
La forêt escarpée incite à renoncer mais la vieillesse ne sera jamais d’actualité. Quand il était petit, Binh-Dû se persuadait qu’il ne mourrait jamais, quand il sera très âgé il découvrira qu’il avait eu raison. Il se trompait juste quant à la forme que prendrait son immortalité.
Pas âme qui vive au refuge de la cascade, mais une paire de tongs sur le seuil, des habits à sécher sur une corde tendue.
Peut-être vaudrait-il mieux mourir en compagnie que survivre seul.
Délivrer un ultime regard encourageant, dans des yeux apeurés, voilà qui serait sympathique. Beaucoup plus bas, là où la cascade s'est horizontalisée et ne laisse plus entendre qu'un murmure, Binh-Dû se couche près d'un bâtiment à ciel ouvert qui hébergera des poneys.