mercredi 24 octobre 2018

24 octobre

         Elle conclut sa traversée du passage piéton par une pirouette, bras en arceaux au-dessus de la tête. Voilà, c’est mieux ! se réjouit-elle, et Binh-Dû se réjouit de concert. Vous étiez à la patinoire ? poursuit-elle dans le dos du cycliste qui l’a regardée comme si elle était saine d'esprit, et celui-ci lance à contre-vent une réponse idiote, Non.
         Cela me fait plaisir de te voir, l’accueille son amie parisienne, l’une des dernières à n’avoir pas migré. Mais peut-être est-ce Binh-Dû qui le premier avait annoncé quelque chose comme Je te verrai avec grand plaisir, leurs formulations sembleraient affectées s’ils ne les pensaient pas vraiment. Tous deux ont mal au dos.
         Ils remontent la rue pavée jusqu’à une crêperie réputée où il ne se souvient pas de s’être jamais assis sur un de ces charmants tabourets rembourrés. Si les tabourets appellent le rembourrage, se dit-il, alors le taboulé suggère la rémoulade. Il lui fait goûter ses tomates provençales, elle sa glace vanille. Ils aiment à dire Oui.
         La conversation glisse d’un sujet à l’autre, la poésie des corps, le déferlement des vagues. Elle prévoit de se faire retirer un petit morceau de cartilage qui lui coince un nerf. Dans son sac il a apporté des fragments de caramel aux noisettes, dont la surface évoque des plaques de glace arrachées aux banquises.
         Ils se séparent devant la station de métro, À bientôt.

mardi 23 octobre 2018

23 octobre

         Les gouttes de pluie glissent doucement sur le pare-brise au matin. Certaines restent immobiles, les toutes petites mais aussi de plus grosses. Un rien pourrait les décrocher, elles tremblent dans le vent. Mais elles ne tombent pas. Jusqu’à ce qu’une goutte plus haut placée glisse et les emporte. Le pare-brise est constellé des étoiles qui n’ont pas brillé la nuit – trop de nuages, trop de pluie. Le phare est éteint pour la journée, il a cessé d’éclairer à intervalles métronomiques l’intérieur de la voiture où Binh-Dû s’était résolu à enrouler une écharpe autour de ses yeux. Dehors le vent souffle de face, bien que la mer soit moins en rouleaux que la veille. Il est temps d’obéir au suroît, de suivre sa flèche vers l’est.
         Les essuie-glaces sont une invention paresseuse, à moins que la paresse consiste à ne pas les enclencher, Binh-Dû ne tranche pas, il n’a pas sommeil. Les gouttes d’eau filent à présent vers le haut, comme si la vitesse pouvait les renvoyer au ciel. Près de la ville-pieuvre, le flot des véhicules stagne au-dessus de maisons dont certaines sont encore habitées. À dix kilomètres du but, les voitures piétinent dans leurs vapeurs, comme chaque soir à la même heure, et sans doute chaque matin, chaque jour de la semaine. Des gens rient dans leurs oreillettes, d’autres accentuent leur masque pré-mortuaire. Folie qu’il faille replonger dans le grouillement effréné autant que statique qui tient lieu d’existence aux citadins.

lundi 22 octobre 2018

22 octobre

       « Tu sais qu’est-ce que je pense à elle tous les jours », promet la dame sous sa capuche, le point d’interrogation flotte dans le doute. « Hurle moins fort ! » une mère admoneste son enfant, ce qui laisse tout autant perplexe. Binh-Dû reprend ses esprits à la vue d’un goéland prenant un bain de palmes dans une flaque. Puis d’une énorme araignée sur le mur de l’église, entre les ex-voto.
       Le soleil n’éclaire que l’horizon. Le soleil illumine l’horizon telle une annonciation. Car l’horizon se rapproche. Les raz-de-marée arrivent ainsi, la jambe de Binh-Dû trempée la veille s’en souvient. Trois silhouettes sur fond d’écume blanche, dont l’une n’est peut-être pas un cormoran, surveillent l’avancée des vagues. Les rochers déchiquetés se suffisent à eux-mêmes.

       Binh-Dû est amoureux. Paf ! Une apparition. Deux secondes à sa rencontre, au détour du sentier côtier entre Kergoaler et Kergouannou (oui, c’est vous, contactez-moi !). Auparavant, il ignorait que manquait à son expérience le coup de foudre. Ce n’était donc pas seulement première impression très favorable réclamant élaboration ultérieure et modération de raison ?
       La mer crépite comme un orage, la mer, cette acharnée, voudrait bouffer du rocher. Elle envoie dans les airs des phosphorescences mêlées d’algues pourpres. La nuit tombe ainsi que décroît la probabilité de recroiser l’amour (sans être cette fois pris au dépourvu). Binh-Dû, si respectueux de son erre et des mouvements déliés, est-il fondé à regretter sa propre fugacité ?

dimanche 21 octobre 2018

21 octobre

Les ouragans tentent de remettre de l’ordre sur cette planète sclérosée. Y parviendront-ils ? Les tempêtes sont des chats furieux.

Certains jours se lèvent dans l’avidité, jamais assez grasse ne sera la matinée. Tandis que dans la pièce contiguë l’objectif est de repousser les limites humaines de la capacité de travail, apercevoir les vingt-quatre heures par jour. C’est toujours une question de réconfort et de compensation, d’ailleurs les deux chambres sont jumelles. Ainsi le pressentiment du désastre.

La mer est verte quand le soleil en décide. La pluie s’abat d’un coup puis remonte – tant de vent ! Binh-Dû enfile son poncho à l’envers, perd la piste d’un arc-en-ciel stratosphérique, oublie que la mer monte. Les vagues en rouleaux sont des géants voûtés qui courent si vite qu’ils s’étalent, manquant d’écraser une nuée de chevaliers gambette.

Binh-Dû vide sa chaussure, essore sa chaussette. Plus tard, le chat lui mordra le pied, remuant sous le drap telle une souris.

samedi 20 octobre 2018

20 octobre

Malgré une nuit passée à pleurer de douleur, les joues sont sèches comme la veille. C’est donc qu’il n’y a pas eu de mal ? Un baiser détecterait le savon plutôt que du sel.

Du reste, les vagues n’attendent pas. Quoique Binh-Dû attende la vague, en méditation féline. Bâillera-t-il à s’en décrocher la mâchoire ?

A l'intérieur des terres, les crêpes vont par cinq et l'on ne pleure pas le beurre ; les poules tombées du camion n’échappent pas toutes à la gueule du renard ; le bouc retrousse sa lippe dans le champ de maïs mais ne sait tourner que dans un sens autour du châtaignier, empêtré dans sa longe. Coup de corne au chien pour l’oreille déchirée.

Dans la maison de l’amie partie, il serait bien capable de décoller tout le moche papier peint, en prélude aux gros travaux, bravo le chat, continue !

Sa frénésie imite le ballet incessant des vagues – ou est-ce le contraire ? Est-ce la même énergie ? Binh-Dû se laisse happer par la régularité fougueuse.

vendredi 19 octobre 2018

19 octobre

Elle part en mission, l’amie de Binh-Dû, il regarde sa voiture quitter le parking, après un dernier signe de la main. Dans l’appartement règnent le silence et la solitude soudains. L’évier contient les fragments d’un saladier éclaté dont le verre bleuté a définitivement filé hors de sa tension glorieuse. C’est infiniment triste, c’est toujours ça de moins à laver, c’est un cœur qui s’éloigne. Le vent souffle en tempête derrière les fenêtres. Des pas précipités arpentent le paradis des joies enfantines - une petite fille court au plafond dans les déferlements assourdis de ses propres rires. Quant au chat, il se love sur le canapé, c’est si simple de lui dire « Je t’aime », se réjouissait l’amie. En effet toute l’affaire est plus compliquée entre êtres humains, acquiesçait, sentencieux, Binh-Dû. Qui dans le silence et la solitude se met en mode « chat », attendant que l’autre vienne chercher un peu de contact humain. (Mais sait-on bien lequel des deux est l’autre ?) Au soir, quand la pluie cesse la tempête persiste, les algues volent par-dessus le muret. L’amie de Binh-Dû rêve aussi de cataclysme et ce serait joyeux.

jeudi 18 octobre 2018

18 octobre

Où voudrais-tu aller si tu en avais le loisir ? demande Binh-Dû, et son amie ouvrant son ordi lui répond que c’est un jour à se promener sur les plages. Être celui qui a le loisir, ce statut contient un aspect de cruauté. Le ciel est traversé de hauts nuages élégamment formés, le soleil brille, la brise caresse, Binh-Dû marche sur la plage. Il balance les bras, son amie lui dirait de se calmer un peu. Il s’assied pour regarder la mer monter. Son amie serait allée se baigner. Binh-Dû garde ses chaussures, l’an passé à la même époque il avait contracté une tendinite. Son amie est sans doute encore en train de travailler, Binh-Dû observe la plage par procuration, il aimerait trouver un coquillage à offrir. L’océan tarde à lécher ses semelles... S’asseoir, c’est fixer l’image, l’œil n’a pas le temps d’accommoder quand le corps est en mouvement. Il faudrait évoquer chaque vague et ses franges d’écume (ce n’est pas indispensable). Le jour décroît à l’intérieur des terres.  La fenêtre d’un deuxième étage est fermée, d’où une gamine au matin a sifflé « Beau gosse ! » à l’attention de Binh-Dû avant que son frère ne lance « P’tite bite ! » Pourquoi n’être que ce que les autres voudraient qu’on soit ? L’amie de Binh-Dû envoie un dernier mail professionnel avant de clore sa session.