Les gouttes de pluie glissent doucement sur le pare-brise au matin. Certaines restent immobiles, les toutes petites mais aussi de plus grosses. Un rien pourrait les décrocher, elles tremblent dans le vent. Mais elles ne tombent pas. Jusqu’à ce qu’une goutte plus haut placée glisse et les emporte. Le pare-brise est constellé des étoiles qui n’ont pas brillé la nuit – trop de nuages, trop de pluie. Le phare est éteint pour la journée, il a cessé d’éclairer à intervalles métronomiques l’intérieur de la voiture où Binh-Dû s’était résolu à enrouler une écharpe autour de ses yeux. Dehors le vent souffle de face, bien que la mer soit moins en rouleaux que la veille. Il est temps d’obéir au suroît, de suivre sa flèche vers l’est.
Les essuie-glaces sont une invention paresseuse, à moins que la paresse consiste à ne pas les enclencher, Binh-Dû ne tranche pas, il n’a pas sommeil. Les gouttes d’eau filent à présent vers le haut, comme si la vitesse pouvait les renvoyer au ciel. Près de la ville-pieuvre, le flot des véhicules stagne au-dessus de maisons dont certaines sont encore habitées. À dix kilomètres du but, les voitures piétinent dans leurs vapeurs, comme chaque soir à la même heure, et sans doute chaque matin, chaque jour de la semaine. Des gens rient dans leurs oreillettes, d’autres accentuent leur masque pré-mortuaire. Folie qu’il faille replonger dans le grouillement effréné autant que statique qui tient lieu d’existence aux citadins.