samedi 10 avril 2021

Toujours à disposition

4 janvier 2020

Mieux vaudrait parler de Lydia. Le lendemain est un samedi, c’est le moment de visiter d’autres magasins. Un loisir, une revanche ? Le portique de sécurité sonne à l’entrée alors que tu n’as encore rien fait, promis, regardez. Le portique ne sonne pas à la sortie alors que tu es coupable – mais habile à dissimuler.

Le tout est de ne pas se précipiter. Caler le centre de commande de ton cœur et de ta respiration sur les décisions de ton cerveau et compter les pas, un deux trois, et un deux trois. Tu es ton propre objet rare et tu es sa boutique, quel chanceux ! Toujours à disposition, à portée de contemplation.
Là où tu vends le temps de ta vie il n’y pas de portique antivol. Il y a trois petites caméras installées au plafond de manière à ce qu’un œil méfiant les remarque mais elles ne fonctionnent pas. Toi-même ne peut surveiller qu’une personne à la fois, le plus souvent c’est toi et tu ne te témoignes pas d’indulgence.

vendredi 9 avril 2021

Presque un acte de pitié

3 janvier 2020
(8/n) 

(...) Il a hésité à retirer les stickers "Joyeuses Fêtes !" avant de renoncer.

Mais il n’y a tellement toujours pas de clients que cela finit par s’imposer. C’est presque un acte de pitié, il ne sait trop envers qui, les riverains, les passants,  lui-même ?  Les lettres inversées lui montrent l’envers de leurs couleurs, et en transparence voilée il y a la rue grise. Il y a le week-end à venir dans ce quartier d’affaires où attendront en vain dans les boulangeries de service des galettes à la frangipane hors de prix. Qui pour supporter cela ? Il travaille au grattoir, ça résiste. Attire ainsi l’attention d’une femme qui demande si c’est ouvert, mais oui il s’empresse, stupidement complice ; elle lui dit qu’il a du courage, il répond que gratter réchauffe ; elle a un petit rire inoffensif, il lui propose un paquet cadeau qu’elle accepte ; il lisse le bolduc avec la lame d’une paire de ciseaux, Bonne année ! Pourquoi un paquet cadeau, pourquoi l’avoir proposé, pourquoi l’avoir accepté, cela n’a guère de sens, à moins que ce ne soit pour un anniversaire, ou pour une épiphanie. Il reprend son grattage, il y a une certaine satisfaction à enlever jusqu’au dernier petit relief de vernis collant. À la fin ne reste plus qu’une demi-après-midi avant la fermeture.

mercredi 7 avril 2021

d'un point de vue à l'autre

2 janvier 2020

(7/n)

Il retourne à son travail – faire le pont, pourquoi ? Ou le mur, ou le mort ?

Il a toujours choisi une voie de facilité.
Ce qui ne signifie strictement rien, d’un point de vue psychologique.

Parlez-moi de vos parents.

Le dernier jour d’une classe verte j’ai pris conscience de n’avoir pas averti ma mère que j’étais bien arrivé, puis je me suis rappelé qu’elle n’avait pas téléphoné, ce qui était bon signe.

Mon père avait une façon bien à lui d’écaler les œufs durs, il les mangeait par trois, et maintenant je fais comme lui bien qu’il soit dans une maison de retraite et perde un peu la boule.

Restons-en là, c’est l’heure.

D’un point de vue pratique, mieux vaut préparer son itinéraire.

Il s’efforce de faire le meilleur choix.
Il a hésité à retirer les stickers "Joyeuses Fêtes !" avant de renoncer.

mardi 6 avril 2021

En puissance dans les germes des plantes

1er janvier  2020

L’une de tes amies est née un 31 décembre, peut-être tient-elle son entrain de sa naissance. Comme une attraction solaire, en puissance dans les germes des plantes. Ou un sens de la fête, elle te dirait Viens, suis mes pas et danse, tu vois ? Et tu verrais, a minima. Une autre de tes amies t’a rencontré un 31 décembre, à moins que ce ne soit toi qui l’aies rencontrée, plus sûrement vous vous êtes rencontrés. À tel point que c’est devenu un anniversaire qui se célèbre, en dépit de l’éloignement physique. Tu rêves d’elle comme d’une personne dotée de pouvoirs merveilleux.

Tu peux en effet marcher dans les rues désertes, du moment que tu ne tournes pas la tête mais tout le corps à partir des hanches, que tu ne balances pas trop les bras et que tu n’essaies pas de te suspendre aux bottes du premier père Noël venu encore accroché à son balcon. Il bruine, avec un peu d’imagination ce serait caresses de flocons de neige. Une troisième amie née juste après le jour de l’an, à des centaines de kilomètres de distance t’a envoyé rien de moins qu’« une pluie de lumière dorée, douce et paisible ». Ce doit être cela. Bien mieux que la mort. Toi tu es né en automne.

dimanche 4 avril 2021

Un perpétuel décalage

31 décembre 2019

(6/n)

C’est bien là le problème. Un perpétuel décalage.

On n’attend plus le terme du compte à rebours pour souhaiter une bonne et heureuse année (déjà ce matin, à la boulangerie – Et bonne santé surtout !), mais attention : à souhaiter de plus en plus tôt que se termine l’exercice en cours on finira par porter le deuil dès l’automne, l’été, le printemps, le 2 janvier puis à s’avaler dans un trou noir temporel défiant toute espérance de futur, et ce sera la fin de tout, à commencer par celle de notre propre histoire individuelle. Sous le(s) manteau(x) il n’y aura plus qu’une disparition inexplicable.

Mais enfin, aucun sac, aucun portefeuille, aucun objet sentimental oublié dans les poches n’a été volé, alors ce n’est pas si grave.

Il doit tout de même y avoir une explication, sauf que tout le monde s’en fout. La nuit du 30 au 31 ne diffère de celle du 31 au 1er que par convention sociale et souvenirs associés. Les excitations enfantines – et s’il n’y avait d’un coup plus rien que le néant (si l’on basculait littéralement par-dessus le rebord d’un crédit périmé) ? Ou d’un coup seul au monde entre quatre murs éloignés, dans une forêt de murs où crier en vain ? Les crédulités adultes, comme le miracle d’un baiser qui effacerait toutes les années d'avant. Cela, oui, fait une différence, préfigure une douleur.

En éternuant par inadvertance tu t’es froissé un muscle dorsal, plus question d’aller danser. Sans toi, tu rêves, le meilleur moyen de combler une distance.

vendredi 2 avril 2021

Indécision du prochain pas, sait-on seulement ce qui l'impulse ?

30 décembre 2019

(5/n)

Ou bien c’était un photographe – le frère de Charlotte ?

Cette époque est révolue, sept années de renouvellement des cellules. Confusion des souvenirs et des visages, indifférenciation des pronoms personnels et impersonnels.

Indécision du prochain pas, saurait-on seulement ce qui l’impulse. Le génie n’a pas le vertige parce qu’il se sait léger en dépit de tout ce bronze, et de la dorure encore. Il sait que si s’effondrait la colonne sous son pied, lui resterait en l’air, suspendu à ses ailes comme en un rêve.

Et toi, es-tu vraiment dans cette chambre sans vue sur la Bastille, à regarder des manteaux vides et à entendre une rumeur de rires et de conversations animées dans la pièce d’à côté ? La tentation est grande de s’enfouir sous les manteaux et de s’y aplatir du mieux possible. Le beau monde a oublié qu’il t’attendait et toi-même tu n’es pas certain du rôle à jouer – ou simplement à tenir. Tu n’es pas certain que te tenir en équilibre entre ciel et terre soit la plus brillante manifestation de ta différence, un gage de compétence. Et pour qui ? Pour quelle âme apparemment absente du salon que tu as traversé en disant Bonsoir… Bonsoir… Oui, je reviens… Je dépose juste…

Un jour, si cela ne s’arrange pas, tu seras moins vulnérable et tu t’en féliciteras. Tu auras intégré l’aisance du premier ricanement. Tu n’auras plus de montées de larmes. Tu auras tout normalisé dans le cynisme. Et celles qui aujourd’hui pourraient t’aimer ne pourront plus – ton amour se sera racorni.

jeudi 1 avril 2021

Rien ne suffit jamais

29 décembre 2019

(4/n)
(photo : Jacques Bousiguier)

Rien ne suffit jamais. C’est une vérité qu’il a retenue de Charlotte – la sœur d’un musicien qu’il croisait parfois dans les bars de Ménilmontant, à l’époque il habitait encore chez sa mère. Une fille joyeuse (Charlotte) dont les yeux brillaient, qui lui faisait un peu peur, dont il ne comprenait pas ce qu’elle voulait, ce qui lui manquait, pourquoi cette énergie insatisfaite. Il ne la voit plus.

Il y a quelque temps il s’est retrouvé à une fête, dans l’appartement d’une amie d’amis qui n’en sont pas vraiment, plutôt des connaissances, il y avait un petit balcon où fumer mais déjà depuis l’intérieur, par la grande fenêtre du grand salon, on pouvait apercevoir dépassant des toits des immeubles d’en face le génie doré de la Bastille. Les ailes déployées – et la colonne de Juillet sur lequel il prenait appui était invisible. Nul besoin de se hisser sur la pointe des pieds. On ne le voyait pas depuis la chambre où un lit à deux places (au moins !) disparaissait sous un tas de manteaux. Les rares filles qu’il a invitées dans son réduit du septième ne sont pas revenues, il les avait prévenues, avait tenté de les dissuader de risquer l’ascension, avait cédé, ne souhaitant rien cacher.

Le magasin aurait dû fermer entre Noël et le Nouvel An, à peine quelques clients qui ne suffisent certainement pas à payer les charges fixes et son salaire. Mais ce n’est pas lui le patron. Pas lui qui décide. Son plan est de mettre assez d’argent de côté pour pouvoir tout plaquer et tenir, disons un an. Sauf qu’il ne conçoit pas de passer des journées entières dans cette chambre (il n’y tiendrait pas). Il lui faudrait déménager mais pour déménager il faut des fiches de paie. Réviser donc le calcul initial : déménager puis plaquer le boulot puis tenir ailleurs. Tel serait le nouveau plan.

Quelque chose cloche, bien sûr, une incompréhension à la base.