- À propos de Janet, je me fais du souci pour elle. Je ne sais pas ce qu’on va
décider. Pas moi, eux. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Comment
est-elle ? Bien ? Comment l’avez-vous trouvée ? Je veux que vous
parliez franchement. Y a-t-il des problèmes ? Si oui, on peut peut-être
vous aider à les résoudre. Comment la jugez-vous ? Gentille ?
Fiable ? Je ne vois pas ce qu’il y a de négatif dans le fait d’indiquer un
problème. Au contraire, c’est positif, car on peut ainsi remédier au défaut. Ce
qui est négatif, c’est de dissimuler des informations précises. Alors ?
Vous en cachez ? J’espère que non. Vous êtes négatif ? Est-ce qu’elle
est enquiquineuse ? Je vous en prie, dites-le moi. J’insiste. Si vous
admettez qu’elle l’est, je noterai que vous êtes positif. Voyons, je sais, et
vous le savez aussi, qu’elle a des problèmes au niveau de ses prestations. N’est-ce
pas une merveilleuse occasion pour vous de l’admettre ? (…) Écoutez, je
sais qu’il est difficile d’être objectif quand il s’agit de personnes que nous
côtoyons quotidiennement. Mais dans les circonstances actuelles, à qui le
mensonge profite-t-il ? À Janet ? Comment peut-elle savoir qu’elle ne
donne pas le meilleur d’elle-même si personne ne le lui dit et ne la remet au
pas ? Et avec Janet dans cet état, l’organisation s’en porte-t-elle
bien ? Et avec l’organisation en mauvaise santé, sachant que c’est elle
qui, en fin de compte, vous permet de manger, vous pouvez facilement comprendre
qu’en mentant au sujet du comportement de Janet, vous vous ôtez le pain de la
bouche. Qui vous procure de quoi vous acheter ce pain ? Nous. Que vous
demande-t-on ? De dire la vérité. Un point, c’est tout. (…) Nous vivons
dans un monde merveilleux, plein d’idées, de fleurs et d’oiseaux merveilleux,
de gens super, mais aussi de quelques déplorables fruits pourris, telle cette
douteuse Janet. Je la déteste ? Je voudrais qu’on la tue ? Sûrement
pas ! Je la trouve super. Je veux qu’on chante ses louanges en lui faisant
un massage à l’huile chaude ; en fait, tout n’est pas à jeter. Mais
dites-vous bien une chose, c’est que je ne la paie pas pour ça. Je la paie pour
un travail régulier et de bonne qualité. Eh bien ? Est-ce qu’elle fait un
travail régulier et de bonne qualité ? Non. Et vous, vous êtes là, avec
sur les bras une collègue en dessous de la moyenne. Je vous plains. Elle vous
arrête dans votre progression et dans votre croissance. Les gens parlent de
vous quand nous nous réunissons. Croyez-moi, je sais bien ce que vous pensez de
Janet. Elle n’a pas d’envergure, c’est un fardeau pour vous. Je le lis dans vos
yeux. Il y a sûrement de quoi vous irriter. Parce que vous, vous êtes un bon
élément. Très bon, même. L’un de nos meilleurs. Et elle, elle est mauvaise,
très mauvaise, l’une de nos pires. Parfois, j’ai envie de la gifler pour ce
qu’elle vous fait.
-
C’est une amie.
-
Vous savez ce que ça me rappelle ? La Bible. Vous souvenez-vous du passage
où le Christ, ou Dieu, dit que tout groupe ou toute organisation de plus de
deux personnes est un corps ? Je pense que c’est vrai. Notre corps a un
orteil pourri qui se nomme Janet, il noircit et il pue jusqu’à la jointure. A
côté de cet orteil puant vit son ami, le bon orteil qui ne pue pas, mais qui,
pour une raison indéterminée, a choisi de se taire, si tant est qu’on puisse
attribuer une langue à un orteil. Parle haut et fort, petit orteil, permets au
cerveau de connaître le degré de putréfaction, de façon que nous puissions
déterminer au plus vite ce qui empêchera Janet de puer. Que faudra-t-il ?
Nous ne le savons pas encore. Peut-être un antiseptique ? Peut-être une
scie bien aiguisée pour élaguer Janet ? À votre avis, que faut-il
faire ? Dites la vérité. Offrez-nous dès maintenant des estimations
franches et sincères de cette collègue qui ne vaut strictement rien. (…)
George Saunders (in Pastoralia)