Je restais dans la même incertitude : qui était-il,
quelles étaient ses intentions ? Je n’avais jamais eu d’admirateur aussi
impénétrable. Il ne me touchait jamais, sauf par courtoisie – me serrant la
main pour me saluer, m’aidant à monter dans la voiture, à franchir une porte à
tambour ou à me dégager d’une ronce. Pourtant, à sa façon, il était
transparent. Il était dévoré par une douleur solitaire. Il donnait l’impression
qu’on pouvait voir à travers lui. Comme ces élégants chiens de race dont on ne
sait comment ils peuvent contenir les organes d’un corps normal, on ne voyait
en lui aucune place pour une vie sensuelle ou émotive normale. Il n’était
qu’une très fine pellicule étirée.
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Il faisait partie de ces hommes tellement virils que l’on
ne sait pas si les émotions et les sentiments font partie de leur équipement
d’origine.
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Parfois, elle ne
comprend qu’une partie de ce qu’il dit. On édulcore la réalité, dit-il.
L’univers pourrait être contenu dans une tête d’épingle. Les particules
élémentaires n’ont pas de structure interne, tu le savais ? Et elle secoue
la tête, non, elle ne le savait pas. Alors il rit, d’un rire bas et doux qui
pourrait facilement se transformer en sanglot, mais ça n’arrive jamais. Elle a
l’impression qu’il n’a pas pleuré depuis longtemps, des années peut-être, qu’il
s’est blindé contre la vérité des choses avec des théories et des explications
et des moyens de se persuader qu’il ne s’est jamais rien passé. Il s’est
autorisé à perdre la raison. Il est dès lors facile de réduire la réalité à
néant, dit-il. Si une particule élémentaire n’a pas de structure interne ni
d’enveloppe externe, alors qu’est-ce que c’est sinon le néant, et donc nous
sommes faits de néant, de même que l’univers, et tout cela – d’une main il
indique le plafond, puis elle, et enfin lui-même –, tout cela n’est rien. Un
rêve, peut-être. Mais nous ne sommes pas le rêve, nous sommes le rêvé. Et il
rit à nouveau et elle ne sait pas quoi dire.
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Ensuite, je suis passée à mes messages et j’ai écrit à
Meïr que la journée avait été épuisante (…) « Je suis en lambeaux »,
ai-je écrit, puis effacé. Inutile d’accabler cet homme, il est allergique aux
outrances. J’ai attendu quelques instants. Il peut passer toute une journée
sans consulter sa boîte de messages. Cette fois, la réponse est vite
tombée : « Prends soin de toi. »
Pas de doute : ce garçon se consume de nostalgie.
Margaret Drabble (in Le petit manoir de Kellynch – Idylle
dans le Somerset)
& Laurent Gounelle (in L’homme qui voulait être heureux)
& Donal Ryan (in Par une mer basse et tranquille)
& David Grossman (in La vie joue avec moi)