Lundi 13 septembre, jour 3
Oh, dépêche-toi ! Tu as fait des rêves horribles et il est tard déjà, la mer monte de plus en plus tard.
Sur la plage, une grosse dame te demande de photographier le pansement purulent qui se décolle sur son bras, pour envoyer à un ami. Dans tes rêves, on conduisait par la main des enfants au four crématoire, un par un, en les tranquillisant.
Tu n'as pas très faim, tu te forces un peu.
Tu changes de plage. De l'autre côté de la baie, la vue porte encore plus loin et l'on peut marcher longtemps. Tes chaussures pèsent leur poids au bout de ton bras, tes pieds nus s'enfoncent à chaque pas dans des tourbillons instables, comme tout ceci t'a manqué ! Tu te ressources à la ligne d'horizon ; quand tu t'en détournes, c'est pour chercher des améthystes parmi les coquilles de bigorneaux. Tu n'en trouves pas, mais un caillou blanc et poli qui se love idéalement dans ta main.
Tu marches, tu marches, jusqu'à ce que le soleil soit suffisamment bas pour que tu fasses demi-tour et reviennes en regardant le ciel intensifier ses teintes. Plus tu avances, plus c'est beau, à un moment il te faut t'arrêter pour admirer tout ton saoul. C'est un émerveillement, une ivresse, tu n'as jamais rien vu d'aussi beau, au fur et à mesure que les derniers rayons éclairent par en-dessous les nuages. Tu penses à des peintures admirées dans des musées à température contrôlée, qui ne sont en comparaison qu'évocation de la splendeur à laquelle tu assistes. Tu es dans le tableau. Le ciel tout entier, depuis là-bas où le soleil se couche jusqu'au-dessus de toi et en arrière encore.
Tu ne comprends pas qu'il n'y ait presque personne face à un tel spectacle. Ou tu comprends trop bien : toi-même étais ailleurs les jours d'avant. C'est l'heure du dîner, du coucher pour les plus petits. L'heure de la fin du journal télévisé. (Et demain, ce sera Koh-Lanta !)
Il fait nuit à présent.
Tu n'es pas sûr de l'endroit où tu as garé la voiture, il y avait un bosquet d'oliviers ? La nuit tous les arbres sont gris. Un chat t'attend sans t'attendre. Tu es heureux.