jeudi 24 novembre 2022

comme en désirable apocalypse

Mardi 14 septembre, jour 4
 

Tu habites chez le chat de ton amie absente, elle-même n'est-elle pas plutôt l'amie de ce chat ? Il a ses habitudes qui ne sont pas les tiennes, et ses attentes que tu ne comprends pas toujours. Il te semble qu'il ne boit jamais bien que tu remplaces l'eau de son écuelle, comment vous comprendre alors que toi-même as la pépie ? Quand tu as fait sa connaissance, quelques années auparavant, il vivait dans une maison champêtre, souvent il ramenait le cadavre d'un mulot, d'un orvet ou d'un moineau, comment vous comprendre ? 
Tu tolères sa nature féline. 
Tu le préfères domestiqué. 
Son regard parfois te semble une injonction à savoir quoi faire, pour réfléchir tu te réfugies dans les toilettes et tu fermes la porte. 
Tu viens t'asseoir près de lui pour prendre ton petit-déjeuner, il t'observe entre deux séquences de léchage de pelage. Il est beau. Chez lui il semble bien chez lui. 
Ton amie a laissé du désordre sur la table basse, le bureau, la moquette, tu notes ses arrangements fonctionnels et quelques paresses. Il y a une trousse à moitié ouverte, des plantes vertes qu'elle a négligé de te demander d'arroser, un plaid élimé et griffé recouvrant un fauteuil, des livres sur les arbres, les remèdes naturels, le capitalisme. Tu es pris d'une bouffée de tendresse pour elle, qui vit ici, ses innombrables choix de petits riens. L'intimité que cela exprime.

Tu sors retrouver une autre amie, qui peut t'émouvoir tout autant. Dans sa vie à elle il y a un chien, de nombreux chats, des poules et des canards. Elle te montre ses massifs d'asters, les papillons qui butinent, elle caresse le dos des abeilles. Vous prenez le café dans le jardin, des visiteurs passent, elle te raconte la vie au village, les nouvelles de la famille, le travail. Elle t'amène à raconter un peu, toi aussi, ce que tu deviens. Et comment tu ressens l'air du temps. Elle traverse sans état d'âme l'ère Covid, contrairement à toi, vous différez d'appréciation mais ce n'est pas le plus important. Elle t'offre des œufs, des pommes, des pêches, et un bocal de soupe au potiron.

Sur la falaise tu cours pour respirer mieux. Tes cheveux volent derrière toi, tu ne les as pas coupés depuis bientôt deux ans - afin de hâter la fin de la pandémie. Le soleil est encore haut dans le ciel quand tu arrives à l'estuaire alors tu remontes les méandres de la rivière. La mer est basse et les rives envasées, tu obliques dans la forêt, te retrouves sur une route asphaltée où nulle voiture ne roule, comme en désirable apocalypse. De retour sur la côte le soleil t'a attendu, tu te diriges à sa rencontre. Passe une femme radieuse, qui regarde au loin.Puis une seconde, qui te sourit. Vous vous retournez presque simultanément après vous être croisés, avec juste assez de décalage pour faire comme si l'autre n'invitait pas à s'arrêter, revenir en arrière, faire connaissance. Deux fois. Elle s'assied sur un rocher qui domine la mer, toi aussi, vous êtes à présent à trois cents mètres de distance l'un de l'autre et tu n'es pas sûr qu'elle te regarde toi ou bien le paysage. Tu n'es pas sûr de ce que tu veux, de ce qui se peut. Elle repart.
Tu cours, tu te dépêches, le soleil n'est plus loin de disparaître.
Puis voilà. Il y a peu de nuages, c'est décevant.
Tu reviens, avant la nuit.