mardi 15 avril 2025

Rhizomiques #206 (flairer)

Elle s’assied en face de moi. « En fac de médecine, on a lu une étude selon laquelle les mères pouvaient identifier leur bébé à l‘odeur à partir d’un jour après leur naissance. À l’époque, je pensais que c’était bidon.
- Et c’est vrai ?
- Je t’aurais reconnue à l’odeur dès les premières heures. Ça me réconfortait, c’était presque comme une drogue. J’étais accro à l’odeur de ma fille. Je te reniflais la tête sans arrêt quand tu étais bébé. »
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Certains hommes sentent bon, et d’autres non. Vous me comprenez si vous êtes le genre de femme à humer un melon côté tige pour le choisir, si le parfum du seringat ou du lilas vous cloue sur place, ou si vous passez dans un coin boisé et savez après avoir avalé une bonne goulée d’air que le pied moelleux, charnu et humide d’un champignon vient brusquement de sortir de terre non loin de vous. Les hommes sentent bon de différentes façons. La vanille salée. La terre chaude. L’herbe nouvelle. La feuille amère. Certains ont une absence d’odeur inquiétante. D’autres se défoncent à l’eau de Cologne. On peut sentir la peur, la vanité, la méchanceté cachée, un cœur solitaire, l’envie, et les opinions cruelles. Et aussi la confiance en soi, décontractée. Même la bonté. On peut sentir si un homme vous aime.
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J’ai enfin pu le flairer. Et là, j’ai succombé à jamais. Son odeur, bon sang, son odeur. Sa peau exhalait un arôme corsé, attirant. Rien de repoussant. Rien du tout. Pas de lotion ni d’eau de toilette pour la couvrir. Cela faisait des années que je n’avais pas respiré une odeur corporelle aussi pure, aussi brute. Pourquoi les hommes de ma classe sociale s’escriment-ils à dissimuler la leur ? Pourquoi cette manie de s’imprégner d’accents "tabac" ou "bois" ou "cuir" ?
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Lorsque Guillaume entra dans la pièce, il était bien trop loin pour que Clotilde puisse renifler sa peau et son parfum. C’est un détail physique qui activa le mécanisme, poussant immédiatement son cerveau à produire de la phénylétylamine en quantité industrielle. (…) Ce qui bouleversa Clotilde, la happa, la ravit, ce fut la perfection de l’arête de son nez, un nez comme un museau, dont l’os en sa racine avait dû connaître une fracture, un nez long, pointu, parsemé de tasses de rousseur, qui lui donnait l’air d’une souris.
 
Laurie Halse Anderson (in Filles de l’hiver)
& Louise Erdrich (in L’enfant de la prochaine aurore)
& Guillermo Arriaga (in Sauver le feu)
& Chloé Delaume (in Pauvre folle)