jeudi 26 juillet 2018
26 juillet
Binh-Dû se dit parfois qu’il est maudit. Mais Binh-Dû sait qu’il est le protégé béni des dieux. Et il sait qu’il vaut mieux savoir que se dire. Plus précisément, que la connaissance prime le récit. L’amour entre deux êtres prime à peu près tout. (L’à peu près n’étant qu’une marge de manœuvre comme pencher le visage du côté droit plutôt que gauche, descendre un bras par ci, remonter l’autre par là ; ou plus conceptuellement une concession minime faite à la prudence, contre la flamboyante exaltation des sentiments.) Sous la voûte du pont, le chant de la flûte s’harmonise avec celui de la rivière. Et sur le plateau aride ouvert aux vents (n’étaient les rangées de châtaigniers), les abeilles affairées contournent les intrus de passage, tout est à sa place, transitoire, mémorable, immédiat. Même les adieux sourient à l’avenir autant qu’au passé, apportant au moment une densité confiante. La ville peut bien étaler sa laideur, les voitures s’agréger en une file inepte. La maison familiale peut bien offrir un havre joyeux de retrouvailles. Et les vignes familières redessiner leurs courbes. Binh-Dû se dit parfois qu’il est chanceux.
mercredi 25 juillet 2018
25 juillet
Oublie aussi l’énigme de la singulière complexité, n’oublie pas d’avancer. Binh-Dû gravit à rebours le sentier qui le mène aux randonneuses, la blonde et la brune, dont l’une a assuré la veille : « On est heureuse que tu viennes ». Ils se retrouvent idéalement, au point culminant. Ensemble ils descendent la montagne, froissant une feuille rêche entre deux doigts sans parvenir à déterminer le nom de l’arbre. À l’abord du village minéral, le parfum des patates sautées ne laisse aucun doute. Dans le chœur de la chapelle aux motifs de grès rouge le son de la flûte peul s’élève. De même un cri à l’instant de plonger dans la marmite du diable. De même les gouttes d’eau perlant sur la peau, absorbées par le dernier rayon de soleil, happé sur la pointe des pieds. Oui, c’est ici le paradis. Les étoiles clignotent au milieu d’écharpes nuageuses fines comme la voie lactée. Certaines filent un état amoureux : « Mes doigts te voient – C’est toi qui est là – Aime-toi ». Le malheur n’a pas droit de cité, tout juste le fond de l’air fraîchit. « C’est notre histoire, ainsi », approuvent au loin des animaux sauvages.
mardi 24 juillet 2018
24 juillet
Vers les montagnes, Binh-Dû s’égare. Il s’agit bien de lui, mais se
trouve-t-il toujours à l’ouest du chancre urbain, et ce soleil de midi
indique-t-il de façon fiable la direction du sud ? La sinuosité des routes
se joue de sa prétention aux détours.
Il espère diminuer à chaque tour de roue la distance qui le sépare des
randonneuses parties bien avant lui. Le lendemain, l’excédent de kilomètres se
résorbera à pieds et à contresens. « Suis-je sur le bon
chemin » ? demande-t-il dans l’épicerie-bar.
L’adolescente monte dans sa chambre vérifier sur l’ordinateur, tandis
que le grand frère reste relié à sa fiancée par les écouteurs de leur iPad. Le
père rentre de sa promenade un peu essoufflé, il allègue de son âge en parade
aux moqueries.
Binh-Dû ne peut que compatir, comparant à son propre avantage les corps
entamés : leurs peaux sont de même ascendance, très orientale,
l’adolescente redescendue pourrait être sa fille, qui lui indique par où
partir. Tous les sourires s’apparentent.
Bien qu’à l’âge du fils, Binh-Dû n’ait pas connu la présence à son côté
d’une fiancée si jolie. Il eût été plus empressé. On a les échecs et les
réussites de ses ambitions, celles de Binh-Dû consistaient à ne pas se faire
entendre.
Être, agir, recevoir, ressentir, et se garder de trop comprendre. Dans
la vallée, les gens se préservent d’une décompensation en perpétuant leurs illusions,
la différence est dans le degré de conscience vis-à-vis du régime infligé.
L’artifice du réel se dissémine en mille exemples d’usurpation de
l’espace commun. Soit tu te soumets à la loi du péage, soit tu raques en ZAC
tentaculaires, en ronds-points et en panneaux publicitaires. Quel consensus en
a décidé ainsi ?
À qui profite le crime ? Jusqu'où continuera-t-on à instaurer la peur pour légitimer l'autoritarisme ? Sur ces questions la compréhension est disponible. Mais « Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? / Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? » : oublie.
lundi 23 juillet 2018
23 juillet
Reprise du ballet des histoires au quatrième jour du festival : une vieille femme pourrait éviter d'ouvrir sa porte aux catastrophes, la fille du boucher rend son tablier, le chevalier à la triste figure connaît des sursauts de jeunesse. Sous les premières branches maîtresses de l'arbre on mange un taboulé.
Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.
Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.
Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.
Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.
Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.
Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.
dimanche 22 juillet 2018
22 juillet
Une
tente se démonte mieux avant le petit-déjeuner, surtout si celui-ci est un
brunch. Un thé se boit chaud, surtout si c’est une tisane. Un homme bavard
s’écoute plus distraitement le matin, surtout s’il parle à quelqu’un d’autre.
Une femme aimée est toujours aussi jolie de profil. Un square est un square,
quelque soit l’heure, d’autant lorsqu’on n’est pas en retard. Le même arbre
nous y retient.
Une voiture blanche attend au pied de la statue républicaine. « Au
revoir, à très bientôt », dit-il. Et la pluie reste avec lui une bonne
partie de l’après-midi. Ce n’est pas aussi triste qu’il l’avait anticipé,
« Nous avons fait du chemin », remarquait-elle. Quand la pluie cesse,
le corps est hissé hors de l’humus, deux acrobates en bottes narguent un
squelette doré dans son fauteuil, on plante des fleurs.
Les femmes bavardes courent les rues comme tout le monde, s'arrêtent aux bons endroits pour boire un verre, usent généreusement de leurs passe-droits, demandent des nouvelles depuis tout ce temps - puisqu'on a failli se heurter par hasard -, ne sont pas tant bavardes que désireuses de partager un peu de passé. Mais du côté chagrin de sa propre loyauté, mieux vaut aller se coucher.
samedi 21 juillet 2018
21 juillet
Au matin pourtant l’amour chantait et nous tendait la main. Au soir, c’est un arbre noirci qui se couvre de roses. Le fleuve mène aux anciens abattoirs, s’y rendre à pas rapides redresse le moral. Là-bas, tout est prêt aussi pour la pluie qui ne viendra pas, le chapiteau à ciel ouvert assume sa fragilité. De quoi avez-vous le plus peur, comment rêvez-vous l’avenir, que voudriez-vous vivre avant de mourir ? Dix doigts s’entrelacent. Personne n’est forcé de répondre. Les baisers sont silencieux.
[merci à Gilles Cailleau]
vendredi 20 juillet 2018
20 juillet
Sur
l’île, les supputations sont foison, à qui ce sourire insistant est-il
destiné ? Nous sommes assis par terre, nous avons montré patte blanche et franc
sac à la police, nous attendons entre personnes de bonne compagnie que le
spectacle commence. Au matin, un héron a traversé le ciel sans que personne ou
presque n’y prête attention. (Binh-Dû serait flatté qu’un chef tribal des
Grandes Plaines le nomme ainsi, Personne-ou-presque.) Il y avait excès de
sardines pour monter la tente au bord du fleuve.
Cette femme qui sourit semble hésiter à l’unisson, fut-elle connue dix
ans auparavant dans une maison de l’emploi ? Est-ce ainsi que ses traits ont
évolué, et l’expression que l’on devine en retrait du sourire est-elle
mi-amusée mi-appréciatrice ? Faudrait-il se lever pour raconter le chemin
parcouru, serait-il opportun d’improviser un bref rapport d’activité teinté de
gratitude ? Ou son expectative s’adresse-t-elle à un spectateur situé dans
la continuité de l’axe, comme si personne ou presque n’existait au
milieu ?
Plus tôt dans la journée, un guitariste était persuadé de reconnaître en l'homme dégustant une crêpe avec son amoureuse (aurait-on cru) sous un grand arbre du parc quelqu'un qu'il aurait connu ailleurs, mais où ? Plus tard dans la journée un pianiste s'avère être le même pianiste qui un mois plus tôt ne s'était pas rasé le crâne - autour de lui, de très singulières amies communes sont aisément reconnaissables. En fin de soirée tous les chemins se séparent, non sans une inespérée exhalaison de boucles brunes.
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