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jeudi 21 mars 2019
mercredi 20 mars 2019
20 mars
Mais à
quoi bon s’appeler, on a tout notre temps. Quelqu’un s’affaire dans la cuisine,
il finira bien par en sortir, quelqu’un d’autre examine le dos des livres dans
la bibliothèque du salon. On se fiche bien de savoir comment ils s’appellent,
une troisième personne passe dans la rue, seule ou accompagnée. Il y a un
certain nombre de couples qui font sens, d’autres plus gratuits, et les nombres
impairs, tout à fait en mesure de s’apparier avec les nombres pairs, ne
déparent pas le tableau. Binh-Dû ne ressent nul scrupule à
souhaiter à tout-va de joyeux anniversaires, parfois il tombe juste, sinon c'est le calendrier qui tombe faux.
Elle
retourne à son bureau après sa pause-déjeuner. Il y a du soleil aujourd’hui
mais l’air est froid pour la saison. Ils ont pris une table à l’intérieur, c’était
jour de couscous, deux merguez chacun. Son collègue achète une recharge pour
cigarette électronique, elle ne l’attend pas, elle traverse les voies du
tramway en regardant à gauche puis à droite. Toujours un temps d'hésitation, est-ce comme avec les voitures, est-ce pareil à Londres ? Elle a lu la veille qu’un robot a tué une
femme qui marchait hors des passages piétons, ce qui semblerait constituer une
circonstance atténuante. Il est difficile de savoir à première
vue qui tient vraiment à la vie.
Ou qui
voudrait simplement ne pas souffrir. Il y a de l’énervement face à la tache sur
le chemisier de soie, et cette fois le coupable est tout trouvé : c’est
ce Binh-Dû dénué de scrupules, qui n’a pas choisi le détachant adéquat dans les rayons du supermarché.
Je pensais que cela suffirait, se
défend-il piteusement. Son amie est à deux doigts de prendre ses cliques et ses
claques, elle s’est enfermée dans leur chambre, que fait-elle ? Il y a
doute sur la consistance. C’est peut-être du gras de baleine. À qui en
tenir rigueur, si tel est l’objectif ? À l’espèce humaine tout entière, massacreuse
et néanmoins adoratrice du rare et du précieux.
Poudre
aux yeux, oui ! Quand on te demande pourquoi tu ne veux pas, n’objecte
qu’une raison à la fois ou tu te feras coincer. Ne dis pas que tu préfères ne t’en
remettre qu’à tes intuitions et que
de toute façon tu n’es pas disponible pour prendre rendez-vous. On ne te croira
pas. Toi-même tu t’apercevras que tu mens. Qui que tu sois, Binh-Dû par-ci,
Binh-Dû par-là. Aux origines il y avait un jardin, et dans ce jardin
roucoulaient des pigeons ramiers. Tu ne les appelais jamais tourterelles, et pourtant
c’en étaient. Un jour, tu as mangé de la palombe farcie. Tout ce temps
passé à écouter n’a pas été du temps perdu.
On
pourrait même parler de bonheur. Soyons fous ! Sylvelle et Jumien ont
réintégré leur intérieur, à rebours, veillant à ne pas se heurter. Ceux-là,
aucun doute, ils sont faits l’un pour l’autre, Binh-Dû les considère avec
attendrissement. Au bout de la toux est un chant. Et à la fin de
l’ellipse ? Imaginons un embranchement, une voie de désengagement hors saison.
D’un coup, le silence et l’obscurité. On avance mais on ne saurait en jurer,
les biomécanismes semblent ralentis. Il n’y a plus de régularité qui tienne, du
moins celle à laquelle on s’était habitué. Plus de repères fatigués. Chut
alors... Mais à la fin, si ce n’est soi, qui - pour le dire ?
mardi 19 mars 2019
19 mars
Tu as le
choix, comme face au miroir. Même esseulé sur la planète Mars, tu aurais le
choix. Entre le reproche et la réjouissance. Sur le lit de Binh-Dû, des reliefs
attendent qu’on débarrasse. Ce sont des coquilles d’œufs, des noyaux d’olives,
des miettes dans une assiette ; quatre bananes en grappe, deux emballages
biodégradables, un pull-over détricoté. Ce sont les cratères consécutifs à des
chutes de météorite, des fragments d’agitation irréelle. Il y a même deux
oreillers aplatis, c’est dire ! Si quelqu’un entrait, il ne verrait pas
Binh-Dû assis en tailleur.
Et
pourtant il est là. Il se rapproche de la sortie. Heureusement qu’il sourit,
car personne ne l’entendrait crier dans le vacarme ambiant. Il va être temps de
se détacher des drames intérieurs – ne t’inquiète pas, tu pourras toujours
courir au pied des arbres attraper au vol les oisillons tombant du nid. Mais
surtout pas de culpabilité, jamais plus, pour ce que tu n’aurais pu mieux
décider tel que tu étais. Une femme se déshabille derrière l’ombre chinoise
d’un pin parasol. Est-elle... nue ? Réjouis-toi, et elle avec toi. Vos
prénoms sont sur le bout de vos langues.
lundi 18 mars 2019
18 mars
Binh-Dû
prépare son nid. Il hésite à privilégier l’absurde ou la logique. La gravité ou
la nonchalance. Ou l’indolence – même pas mal, au chaud sous les plumes !
Sa préférence irait pourtant aux développements logiques, bois précieux,
harmonies savantes, mais à défaut il bascule volontiers dans le désordre.
C’est
plus amusant. La neige conduit au printemps, les abricotiers ne sont pas
contents. Les amoureux se préservent, les réverbères diffusent une lumière vert
citron. Tu surplombes le givre à tes pieds, ne sachant que penser dans la buée
de ton souffle, quand tu voudras revenir chez toi tu ne reconnaîtras pas le
chemin.
Plus ils
s’en défendent, plus les amoureux se trompent. Ils raisonnent en termes de
pouvoir. Tu le crois, ça ? Tu crois que le secret d’un amour vrai implique
le contrôle consécutif de l’un sur l’autre, chacun son tour ? Peu importe,
tu n’es pas partie prenante de leur conversation, tu as déjà la tête ailleurs
et le corps, n’en parlons pas.
dimanche 17 mars 2019
17 mars
Tu
t’imagines avoir découvert le secret d’un bon dialogue : l’un des
protagonistes ne sait pas donner et l’autre ne sait pas recevoir. Il y a plus
d’habileté à être sourd. Tu réfléchis à la façon dont pourrait évoluer une
telle situation – les rôles s’inverseraient jusqu’à confusion des identités
prises dans un siphon infernal. Mais est-ce bien ce que tu désires
raconter ? Ne l’as-tu pas déjà raconté mille fois, à l’instar de quelqu’un
qui s’obstinerait à réitérer ce qu’il ne comprend pas ? Et d’abord, que
fais-tu encore par ici ?
Binh-Dû
anticipe l’avenir qui se rapproche de jour en jour. La neige tombe comme un
adieu. Il s’égare dans une ville inconnue, le contrôleur du funiculaire le
remet sur le droit chemin, de sa fille Binh-Dû pourrait tomber amoureux.
Rêve-t-on d’avoir pour beau-papa le contrôleur du funiculaire ? Les rues
sont courbes, un encouragement à se perdre. Ou plutôt à se vivre page
blanche : non pas confirmé par l’échec mais offert au
renouvellement ? Saisi de frissons mais néanmoins confiant, il secoue de
son bonnet la poussière.
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