Que fait-elle ? Où est-elle ? L’autre. Il paraît
que les jumeaux ont un sixième sens qui leur fait ressentir ce que vit leur
semblable, même à distance. Sylvelle ressent surtout de la peur. Cela s’accroît
à mesure qu’elle se rapproche de la porte de leur appartement. Elle aurait pu
tenter d’appeler Jumien sur son portable, peut-être aurait-il répondu ?
Peut-être le vrai Jumien est-il quelque part où il ne peut pas communiquer, en
manque de forfait, et il attendrait depuis minuit la veille qu’elle vienne à
son aide ? Entre eux deux, il y avait bien quelque chose qui ressemblait à
un sixième sens, du moins aux débuts de leur relation. Ils se devançaient
souvent l’un l’autre, leurs pensées, leurs gestes, c’était merveille de se
trouver. Là, rien de tel.
mercredi 10 avril 2019
mardi 9 avril 2019
§ 18
Alors que la journée avance, il devient clair qu’elle aura
besoin d’une journée supplémentaire. Qu’il ne suffira pas de rester tard au
bureau pour éviter de retourner à la maison où l’attend Dieu sait quoi. Qu’en
tout état de cause il lui faudra affronter cette chose qui lui arrive – elle
hésite à penser que cela leur arrive,
tant il est inconcevable que quelque chose arrive encore à celui qui était
Jumien et qui a disparu au cours de la nuit. Devrait-elle se munir d’une arme,
qui soit moins effrayante qu’un couteau et plus sérieuse qu’une poêle à
frire ? Non, elle se connaît, et elle ne voudrait pas vraiment lui faire
du mal. Faudrait-elle qu’elle prenne conseil auprès de quelqu’un ? Non, si
même à Sophiraphe elle n’a pu se confier. Pourquoi l’autre n’a-t-elle pas téléphoné de tout ce temps ?
lundi 8 avril 2019
§ 15, 16 et 17
Sylvelle ne sait pas quoi raconter à Sopiraphe qui lui fait
remarquer son air fatigué alors qu’elles font la queue au self. Dire qu’elle a
passé une mauvaise nuit ne suffira pas. Et si elle ne dit rien à Sophiraphe, à
qui pourra-t-elle se confier ? Je crois que je vais quitter Jumien, je ne
le supporte plus. Encore, qu’est-ce qu’il a fait cette fois ? Il n’a rien
fait, c’est juste sa façon d’être. Il t’a dit quelque chose ? Non, tu le
connais, jamais un mot plus haut que l’autre. Oui mais il peut être maladroit
parfois, je me souviens de la fois où il t’avait dit qu’il ne serait jamais
tombé amoureux si tu avais eu des cheveux plus fins. Sylvelle rit malgré elle,
c’est vrai que sa maladresse confinait à la goujaterie. Si seulement il n’y
avait que cela.
Qu’allait-il se passer si elle le trouvait toujours chez eux
quand elle rentrerait, ce soir ? Il n’avait pas pu aller travailler dans
cet état, il ne pourrait aller nulle part sous son ancienne identité. Et en
aucun cas se montrer en sa présence à elle. À moins de passer pour sa jumelle,
tombée du ciel. Elle ne voulait pas
d’une jumelle, c’était déjà bien assez difficile d’être soi ! Tu trouves
que j’ai changé ? demande-t-elle à Sophiraphe. Dans quel sens ?
Physiquement. Non, tu as l’air fatigué mais à part ça tu es bien ma Sylvelle
préférée. Aujourd’hui la blague est moins drôle, Sylvelle écrase sa portion de
poisson pour en révéler des arêtes. J’ai failli le frapper ce matin, j’étais
hors de moi. Je suis sûre que tu avais une bonne raison, allez, raconte.
Mais Sylvelle secoue la tête, Avec un peu de chance il
partira de lui-même, de toute façon c’est comme s’il n’était déjà plus là, en
un sens, je veux dire d’une certaine manière il est déjà parti, ce qui reste de
lui ce n’est plus lui et je suis seule avec moi-même. Sophiraphe reste perplexe
mais Sylvelle ne tient pas à s’expliquer davantage, elle est allée aussi loin
qu’elle s’en sentait capable. La pomme et le yoghourt, elle les emporte pour
plus tard. Il lui faut finir de rédiger la première mouture de la notice
d’agrémentation que le laboratoire enverra aux autorités sanitaires, et rien
n’est simple de ce côté-ci non plus. On lui a donné un rapport savamment confus
qu’il lui faut décrypter correctement avant de le retraduire confusément, c’est
son métier.
dimanche 7 avril 2019
§ 14
Allongé sur le dos, reprenant une respiration normale, il a
envie d’appeler Sylvelle. Il faudrait qu’elle soit ici à ses côtés, elle lui
manque. Jumien rit, c’était donc peut-être cela, l’amour : elle lui manque en état de parfaite satiété ? Mais Sylvelle est sans doute peu disposée à
partager cet élan d’affection, elle est partie après l’avoir menacé avec la
poêle, tout de même. Le mur en garde une trace. Du reste, si ce n’est pas son
corps qui lui manque – puisque Jumien peut désormais en jouir à volonté – ce
n’est pas non plus son mauvais caractère, sa colère ou ses reproches. Il faudra
qu’elle se fasse à la nouvelle situation, comme il est en train de s’y faire
lui-même. À moins qu’elle ne le quitte ? Et si pour elle, c’était surtout
le corps de Jumien qui comptait ?
samedi 6 avril 2019
§ 12 et 13
Il marche un peu dans l’appartement, passe de pièce en
pièce. Il se sent plus léger mais peu assuré sur ses jambes. Il s’assied sur
une chaise, relève le bas de son pyjama, les mollets de Syllvelle sont fins
contrairement aux siens. La peau est douce, récemment épilée. Non, il ne
s’infligera pas cela ! Il se relève, reprend sa déambulation sans but,
attentif à sa façon de marcher, comment ferait Sylvelle ? Il se cherche
dans la grande glace du salon, la trouve, l’air égaré. Elle l’observe d’une
façon telle qu’il a du mal à soutenir son regard, cela le terrifiait parfois,
une réflexion insondable qu’il percevait telle une menace, la possibilité
qu’elle lui annonce son départ : tout bien considéré elle avait compris,
fait le tour, ne croyait plus en lui, le quittait.
Mais comment pourrait-elle le quitter à présent ? se
dit Jumien en portant la main droite à son sein gauche sous le tissu, puis la
gauche, les bras croisés. Ses tétons sont sensibles, Sylvelle parfois était
saisie de grands frissons qui lui parcouraient tout le corps. De retour dans la
chambre, Jumien se laisse tomber sur le lit, envahi de désir. Il se caresse les
seins, le sexe à travers le pyjama, il se frotte contre la couette, se dévêt
complètement, il gémit. Avec sa voix de Sylvelle, d’ordinaire il était plus
discret. Les sensations sont incroyables même s’il a encore du mal à accepter
ses doigts. Ce sera une question d’habitude, c’est comme si pour la première
fois il se donnait du plaisir et en même temps qu’il connaissait parfaitement
ce corps. Il jouit comme jamais.
vendredi 5 avril 2019
§ 11
La porte d’entrée a claqué. Jumien n’entend plus que les
bruits habituels de l’immeuble, la rumeur assourdie de la rue. Il se lève,
écarte les rideaux. Le ciel est gris mais tout semble normal. Dans l’immeuble
en face, le voisin prend son petit-déjeuner, un bol de céréales comme toujours.
Il tourne la tête vers Jumien, qui lui fait un léger signe de la main pour
montrer qu’il ne l’espionnait pas. Avant de se rappeler que cette main qui fait
signe n’est pas la sienne, ni ce visage qui sourit faiblement, ni tout ce corps
dans son pyjama, précipitamment il se dissimule derrière un pan du rideau. Il
ne pourra pas aller travailler, pas dans ce corps, les enfants au lycée ne
comprendraient pas. L’administration non plus, personne ne voudrait le croire.
Nulle part, on ne le croira.
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