mercredi 3 juillet 2019

3 janvier


                Alma sème un champ neuf. Sous cette latitude la lune paraît plus lumineuse mais l’exactitude des saisons n’est pas requise. Les graines sont issues d’une première récolte. Alma est sur l’île depuis peu, elle ne veut pas penser qu’il s’agit d’un continent.
                Auparavant c’était une combattante. Ses mains ont connu l’acier des armes. Aujourd’hui c’est comme si elle nettoyait dans la terre le sang versé, comme si le soc fertilisait une rédemption. De son sein le sang coulait, que son amant ne savait étancher.
                Binh-Dû – puisqu’il ne s’agit pas de lui – était excessivement sérieux. Il réfléchissait à la mort, pire encore : à ce que devrait être une vie morale. Il pensait que la beauté découlait de la bonté, bien sûr il se trouvait hideux. Il contemplait l’océan, assis, et il pleurait.
                Très loin de là, en un autre temps, les jonquilles préparent leur floraison. Ce ne sont pour l’instant que faisceaux de feuilles sorties du bulbe, protectrices, enserrant une promesse. Les gelées nocturnes sont de plus en plus timides. Ouvre les yeux !

mardi 2 juillet 2019

2 janvier


                Place à l’inspiration, annonce-t-elle, comme si c’était aussi simple que cela. Parole de muse. En voici une autre (de muse ; qui parle), qu’on en revienne à la simplicité du clin d’œil. Et une troisième qui, sentant venir le bout du chemin, prévient qu’elle part en breloque. Cela vaut bien un appareillage héroïque, le soleil miroite un fracas de reflets.
                La peur est un tel lieu commun qu’on s’en empêtre à l’ombre de plus hautes tours. La peur est l’ombre, tandis que planent les aigles. Tu as accosté, épuisé, heureux, tu as titubé sur la plage. Tu t’es abreuvé à une noix de coco, tu t’es enfoncé dans la forêt. Tu humais une circularité d’île, tu cherchais la trace de ceux qui t’auraient précédé, Alma !
                D’évidence tu n’es pas le premier, toute une civilisation a péri. Ce n’est pas une île mais un continent. Et ce n’est pas la peur qui t’étourdit mais la proximité du soleil, la terrible appréhension de la tristesse tel un soudain haut-le-cœur. Sous tes pieds des siècles de philosophie, devant toi la possibilité d’une apparition. Sauras-tu ne pas fermer les yeux ?

lundi 1 juillet 2019

1er janvier


                La cohérence est un serpent de mer. Elle est comme une honte, qu’on peut passer sa vie à ignorer. Pour la connaître il faut se risquer sur les flots, partir au loin en sachant que si le soleil brille bientôt la tempête soufflera.
                Mais pourquoi faire cela ? N’a-t-on pas déjà suffisamment à faire avec les lombrics du jardin potager ? Et ne sont-ils pas dignes de considération eux aussi, et même davantage, ne produisent-ils pas le compost du quotidien ?
                Le serpent de mer est la question de tes rêves. Et tu t’aperçois que ta cohérence repose sur le manque de foi. Tu n’y crois pas vraiment. D’ailleurs tu n’as aucune envie de partir affronter des monstres, tu aspires à la sérénité.
                Si tu décidais de t’en aller courir le vaste monde, ton héroïsme consisterait à ne jamais quitter le bord. Au fond tu es un trouillard ! Voilà que tu ris d’avoir au port démasqué la honte, tu es prêt, enfin, à hisser voiles et pavillon.

dimanche 30 juin 2019

Bonus : nuit de l'an


Sa stratégie est parodie de conscience. Lui est un autre, naufragé. Il accoste dans un café cubain, un mégot branlant entre deux de ses doigts. Il cherche un cendrier. Il regarde la carte où l’on propose un menu réveillon à 95 euros. Il cherche un regard témoin, huit lycéens bruyants jouent la comédie de la fière insouciance. Ils ne le calculent pas. Il a 67 ans, tient-il à déclarer, et sa femme l’a quitté. Au couple sympathique de la table d’à côté il emprunte un briquet pour allumer une nouvelle cigarette, il dit « Vous êtes cohérents », puis « J’ai 67 ans, ma femme m’a quitté » et il recommence à fumer. Les deux probables amoureux parlent de pathologies mentales et du pouvoir du rire, assez sérieusement. Une bouteille de rosé roule entre les pieds des lycéens qui peinent à se pencher depuis leur chaise pour la ramasser. La nuit est jeune encore, à peine un début de soirée, et l’année va mourir. Il y aura une remise à zéro sur le compteur et personne à serrer dans ses bras. Il n’y aurait rien à faire si c’était d’un coup la fin du monde, juste imploser en désolation infinie. L’homme d’une main tremblante écrase sa cigarette dans le cendrier de la table des amoureux, il leur dit qu’ils sont cohérents, qu’il a 67 ans et que sa femme l’a quitté. Il fait signe qu’on lui tende le briquet afin qu’il puisse allumer une nouvelle cigarette. Sa cohérence est peut-être de fumer sans feu. Les amoureux n’en sont pas, ils se séparent sans même un baiser. La jeune femme transporte dans un sac transparent une bûche de Noël qui commence à fondre. L’homme moins jeune n’entend pas la voix intérieure qui lui rappellerait de vivre maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Jacasse une pie nocturne dont la cohérence non moins laisse à désirer.

30 décembre


                Ce qu’il cherchait sans le trouver au centre commercial attend heureusement en d’autres lieux. Le courage d’être prêt à ce que meure l’enfant demain pourvu qu’il vive aujourd’hui. Qu’il ne meure pas vieillard en ayant renoncé sa vie durant à vivre. Le courage de souffrir intensément face aux irrémédiables pertes, sachant la valeur de ce qui nous relie, vivants.
                Comme une voix intérieure qui te dirait où tu es, qui te ferait entendre ce que tu viens de faire et vers où tu te diriges.
                Ou  autre chose, non plus une rencontre mais un mode, quasi musical : vais-je donner à pleurer ou prêter à rire ?
                Ils ont fait le choix, la plupart, de donner le moins possible. De ne pas même arpenter le côté surplombant de la dette. Quand ils donnent c’est dans la crainte, ils ont peur des coups de vent. Ou bien médit qui s’exclut ? Lui a beau jeu de souhaiter « Bonnes fêtes » à la caissière. Son autre lieu l’attend toujours, et l’enfant qu’il fut. Sa propre tragédie frise l’inconscience.