Pour la dixième fois, sur scène elle se tient devant toi, et pour
la dixième fois tu es au bord des larmes. Non que ses mots ou ses actes expriment
une douleur intime qui entrerait en connexion avec la tienne. D’abord c’est
d’émotion que tu es saisi, dont la teneur n’a rien de douloureux. (Ou la joie
même est douloureuse ?) Non qu’elle te regarde toi en particulier. Mais
elle apparaît, elle se tient là, elle regarde, elle parle, elle danse, et
immanquablement, à un moment ou un autre (tu ne sais jamais à l’avance lequel),
quelque chose en toi d’ordre lacrymal se déclenche. (La larme définit l’homme,
non ?) Tu n’es pourtant pas une si mélancolique personne. (Ou si ?)
Tu ne voudrais pourtant pas porter ta sensibilité en étendard. Et tu sais rire
aussi – à l’occasion. Alors quoi ? Est-ce un besoin vital de pleurer qui
trouve ici une voie de passage, la source des larmes est-elle à rechercher très
loin en amont, quand il faisait froid et nuit et solitaire, quand l’existence
était une sensation dure comme les pierres, quand tu étais complètement
perdu ? Possible. Mais indéniable est cet effet reçu, dont tu ne te lasses
pas.
mercredi 17 juillet 2019
mardi 16 juillet 2019
16 janvier
Ta main
voudrait dessiner des arabesques, elle peine à simplement se tendre dans la
lumière. Sacrebleu ! De quelle époque es-tu, celle du
cinématographe ? Ou doit-on remonter jusqu’aux ombres chinoises…
Dans la
chambre claire aux murs fraîchement repeints de blanc, l’odeur rémanente
perturbe tes neurotransmetteurs. Mais il n’y pas que cela, l’odeur est
secondaire. Ce qui prime, c’est le soleil à travers les clayettes.
Tu
voudrais que s’imprime la caresse d’une fleur sur un visage. Tu tâtonnes. Autour
de toi, on t’invective, Ce n’est pourtant
pas compliqué ! Mais tu ne maîtrises pas les inversions et tu ne
distingue pas la source.
Une
heure plus tard le temps est mort. Sa trace demeure sur un enregistrement vidéo
d’une cruauté si vive qu’on en est réduit à allumer des néons. Dans le cosmos
une voix dira Nous y étions, nous étions
splendides.
Personne
ne contestera, si tant est que quiconque s’y intéresse. Le futur sera une
aberration logique et l’humanité apparaîtra tel le résidu sec d’une forme d’intelligence.
C’est alors qu’un premier batracien relèvera sa paupière.
lundi 15 juillet 2019
15 janvier
Tu es
reconnaissant pour la prescience. À tel point que tu en rirais presque, car la
science est loin de t’intéresser autant. Tu aurais fait de beaux rêves sous un
ciel vierge de présence humaine, tu te serais perdu joyeusement au fond de
paysages non tracés, tu aurais été un père prolifique et innocent. Non,
sérieusement, ce qu’il te reste, c’est la connaissance du pire. Si tu rigoles,
c’est un effet de ta nervosité, le meilleur aussi est une bonne blague. Ta
dernière vision ramènera à ta mémoire un visage parmi d’autres, et peut-être
pas celui auquel tu te serais attendu. Le son d’une voix éteinte ou éloignée,
des mots improbables, des gestes. La simplicité même d’un arbre, d’une
vaguelette se brisant sur la plage, d’un nuage. Une douleur aiguë, sait-on, tel
un signe de connivence. Tu t’es beaucoup trompé pourtant. Toujours de la même
manière (cette fois si quelqu’un rit ce n’est pas toi). Tes intuitions étaient
excellentes mais déplorable était le niveau de ta confiance. En l’être aimé un
absolu, en soi le néant : comment, dans ces conditions, entrer dans la
danse ? Tu fermes les yeux. Tu écoutes.
Et
soudain le sol danse pour toi.
dimanche 14 juillet 2019
14 janvier
Jusqu’au jour où ton chemin croise ou recroise celui d’un
être sincère, généreux, poétique, et tu n’en crois pas ton cœur – il bat !
– et tu ne sais pas quoi faire, une forme de panique t’enveloppe comme du
papier-bulle, comme si c’était toi soudain qui étais l’objet précieux, l’objet
fragile, le cadeau destiné, mais non c’est l’autre qui te regarde depuis des
profondeurs à peine soupçonnées, peut-être espérais-tu qu’un tel moment se
produise alors que tu étais toi-même empêtré dans ta naïveté, une innocence
dont tu te souviens confusément, à l’époque tu aurais pu devenir celle ou celui
que tu aurais rencontré, avec un peu de chance, un supplément de ténacité, tu
aurais pu si seulement tu avais pu – être semblable au meilleur de toi –,
aujourd’hui tu dérives de celui que tu étais hier encore et qui se foutait de
tout, il va falloir que se ressoudent quelques os de convenance, que se
cicatrisent quelques manières mal cousues jadis, tu ne comprends pas bien quel
est l’enjeu sauf qu’il n’a jamais été aussi élevé, est-ce encore de ta vie
qu’il est question ou sommes-nous – quoi que ce nous puisse signifier – en présence d’une toute nouvelle
urgence ?
samedi 13 juillet 2019
13 janvier
La culpabilité n’est pas dans la hotte – vide ou pleine – du
père Noël.
Ni dans la superstition des feux de la Saint-Jean.
Elle n’est pas dans la passoire qui encombre ton égouttoir à
vaisselle.
(Bien que la passoire t’attriste, tu en as besoin.)
La culpabilité n’est pas quelque chose dont tu aurais besoin.
Elle n’est pas non plus un sentiment.
On continuera d’ôter la vie pour notre plaisir.
(Et les cochons de sourire aux devantures des boucheries.)
La culpabilité n’est pas dans l’innocence vulnérable de la
jouissance.
Ni dans l’abandon mesuré du lecteur.
Elle ne serait même pas dans la fidélité au mensonge.
(Mais là tu te pinces jusqu’à demander grâce.)
vendredi 12 juillet 2019
12 janvier
Que fait le boucher, rit-il également ? Le silence pour
la plupart des gens n’est pas un prérequis, et nous ne savons plus avec
évidence distinguer le chant du rossignol de celui du merle. Tant qu’il y aura
des arbres en ville, la nuit… Tu as quitté l’île et tu le regrettes déjà ;
la réalité, est-ce cela : des histoires de travailleurs, des sursauts de
désir épuisé ou exaspéré, des désolations individuelles choquées dans la
multitude ? D’invisibles accumulations aux yeux qui ne voient plus ?
Ce qui t’apporte de la joie questionne la nature de ta joie. La poussière
elle-même n’est pas exclue ; non plus que les scénarios désastreux.
Contenus par des enclos de barrières métalliques, les sapins décharnés exposent
au regard des enfants leur déchéance, y a-t-il un père Noël pour tolérer
cela ? Y a-t-il un danseur pour slalomer entre les épines et déraper sur
de la fausse neige et des déchets de polystyrène ? Tu dis Pardonne-moi, mes tendons sont blessés et
mon âme à mi-hauteur seulement de la beauté de la tienne, tu dis Je viens de voir un chat écrasé dans la rue
et je n’ai pas su quelle émotion me traversait, tu dis Je ne peux m’empêcher de craindre qu’une seconde de patience soit une
seconde gâchée, et elle te répond : « Ne t’inquiète pas, je
connais la grandeur de ton urgence ». Alors tu ris comme un boucher ou un
bibliothécaire et tu n’ajoutes pas de dernier mot.
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