mercredi 17 juillet 2019

17 janvier


Pour la dixième fois, sur scène elle se tient devant toi, et pour la dixième fois tu es au bord des larmes. Non que ses mots ou ses actes expriment une douleur intime qui entrerait en connexion avec la tienne. D’abord c’est d’émotion que tu es saisi, dont la teneur n’a rien de douloureux. (Ou la joie même est douloureuse ?) Non qu’elle te regarde toi en particulier. Mais elle apparaît, elle se tient là, elle regarde, elle parle, elle danse, et immanquablement, à un moment ou un autre (tu ne sais jamais à l’avance lequel), quelque chose en toi d’ordre lacrymal se déclenche. (La larme définit l’homme, non ?) Tu n’es pourtant pas une si mélancolique personne. (Ou si ?) Tu ne voudrais pourtant pas porter ta sensibilité en étendard. Et tu sais rire aussi – à l’occasion. Alors quoi ? Est-ce un besoin vital de pleurer qui trouve ici une voie de passage, la source des larmes est-elle à rechercher très loin en amont, quand il faisait froid et nuit et solitaire, quand l’existence était une sensation dure comme les pierres, quand tu étais complètement perdu ? Possible. Mais indéniable est cet effet reçu, dont tu ne te lasses pas.



mardi 16 juillet 2019

16 janvier


           Ta main voudrait dessiner des arabesques, elle peine à simplement se tendre dans la lumière. Sacrebleu ! De quelle époque es-tu, celle du cinématographe ? Ou doit-on remonter jusqu’aux ombres chinoises…
           Dans la chambre claire aux murs fraîchement repeints de blanc, l’odeur rémanente perturbe tes neurotransmetteurs. Mais il n’y pas que cela, l’odeur est secondaire. Ce qui prime, c’est le soleil à travers les clayettes.
           Tu voudrais que s’imprime la caresse d’une fleur sur un visage. Tu tâtonnes. Autour de toi, on t’invective, Ce n’est pourtant pas compliqué ! Mais tu ne maîtrises pas les inversions et tu ne distingue pas la source.
           Une heure plus tard le temps est mort. Sa trace demeure sur un enregistrement vidéo d’une cruauté si vive qu’on en est réduit à allumer des néons. Dans le cosmos une voix dira Nous y étions, nous étions splendides.
           Personne ne contestera, si tant est que quiconque s’y intéresse. Le futur sera une aberration logique et l’humanité apparaîtra tel le résidu sec d’une forme d’intelligence. C’est alors qu’un premier batracien relèvera sa paupière.

lundi 15 juillet 2019

15 janvier


         Tu es reconnaissant pour la prescience. À tel point que tu en rirais presque, car la science est loin de t’intéresser autant. Tu aurais fait de beaux rêves sous un ciel vierge de présence humaine, tu te serais perdu joyeusement au fond de paysages non tracés, tu aurais été un père prolifique et innocent. Non, sérieusement, ce qu’il te reste, c’est la connaissance du pire. Si tu rigoles, c’est un effet de ta nervosité, le meilleur aussi est une bonne blague. Ta dernière vision ramènera à ta mémoire un visage parmi d’autres, et peut-être pas celui auquel tu te serais attendu. Le son d’une voix éteinte ou éloignée, des mots improbables, des gestes. La simplicité même d’un arbre, d’une vaguelette se brisant sur la plage, d’un nuage. Une douleur aiguë, sait-on, tel un signe de connivence. Tu t’es beaucoup trompé pourtant. Toujours de la même manière (cette fois si quelqu’un rit ce n’est pas toi). Tes intuitions étaient excellentes mais déplorable était le niveau de ta confiance. En l’être aimé un absolu, en soi le néant : comment, dans ces conditions, entrer dans la danse ? Tu fermes les yeux. Tu écoutes.
         Et soudain le sol danse pour toi.

dimanche 14 juillet 2019

14 janvier


Jusqu’au jour où ton chemin croise ou recroise celui d’un être sincère, généreux, poétique, et tu n’en crois pas ton cœur – il bat ! – et tu ne sais pas quoi faire, une forme de panique t’enveloppe comme du papier-bulle, comme si c’était toi soudain qui étais l’objet précieux, l’objet fragile, le cadeau destiné, mais non c’est l’autre qui te regarde depuis des profondeurs à peine soupçonnées, peut-être espérais-tu qu’un tel moment se produise alors que tu étais toi-même empêtré dans ta naïveté, une innocence dont tu te souviens confusément, à l’époque tu aurais pu devenir celle ou celui que tu aurais rencontré, avec un peu de chance, un supplément de ténacité, tu aurais pu si seulement tu avais pu – être semblable au meilleur de toi –, aujourd’hui tu dérives de celui que tu étais hier encore et qui se foutait de tout, il va falloir que se ressoudent quelques os de convenance, que se cicatrisent quelques manières mal cousues jadis, tu ne comprends pas bien quel est l’enjeu sauf qu’il n’a jamais été aussi élevé, est-ce encore de ta vie qu’il est question ou sommes-nous – quoi que ce nous puisse signifier – en présence d’une toute nouvelle urgence ?

samedi 13 juillet 2019

13 janvier


La culpabilité n’est pas dans la hotte – vide ou pleine – du père Noël.
Ni dans la superstition des feux de la Saint-Jean.
Elle n’est pas dans la passoire qui encombre ton égouttoir à vaisselle.
(Bien que la passoire t’attriste, tu en as besoin.)
La culpabilité n’est pas quelque chose dont tu aurais besoin.
Elle n’est pas non plus un sentiment.
On continuera d’ôter la vie pour notre plaisir.
(Et les cochons de sourire aux devantures des boucheries.)
La culpabilité n’est pas dans l’innocence vulnérable de la jouissance.
Ni dans l’abandon mesuré du lecteur.
Elle ne serait même pas dans la fidélité au mensonge.
(Mais là tu te pinces jusqu’à demander grâce.)

vendredi 12 juillet 2019

12 janvier


Que fait le boucher, rit-il également ? Le silence pour la plupart des gens n’est pas un prérequis, et nous ne savons plus avec évidence distinguer le chant du rossignol de celui du merle. Tant qu’il y aura des arbres en ville, la nuit… Tu as quitté l’île et tu le regrettes déjà ; la réalité, est-ce cela : des histoires de travailleurs, des sursauts de désir épuisé ou exaspéré, des désolations individuelles choquées dans la multitude ? D’invisibles accumulations aux yeux qui ne voient plus ? Ce qui t’apporte de la joie questionne la nature de ta joie. La poussière elle-même n’est pas exclue ; non plus que les scénarios désastreux. Contenus par des enclos de barrières métalliques, les sapins décharnés exposent au regard des enfants leur déchéance, y a-t-il un père Noël pour tolérer cela ? Y a-t-il un danseur pour slalomer entre les épines et déraper sur de la fausse neige et des déchets de polystyrène ? Tu dis Pardonne-moi, mes tendons sont blessés et mon âme à mi-hauteur seulement de la beauté de la tienne, tu dis Je viens de voir un chat écrasé dans la rue et je n’ai pas su quelle émotion me traversait, tu dis Je ne peux m’empêcher de craindre qu’une seconde de patience soit une seconde gâchée, et elle te répond : « Ne t’inquiète pas, je connais la grandeur de ton urgence ». Alors tu ris comme un boucher ou un bibliothécaire et tu n’ajoutes pas de dernier mot.