mercredi 22 janvier 2020

Hybrides #30

Attendez que votre chef vous contacte et, si lui ou elle ne le fait pas, apprenez avec soulagement que la Compression du Personnel est passée à côté de votre porte. Pourtant, il est honnête de vous informer que ceux qui n’ont pas été concernés par les premiers licenciements pourraient l’être par les deuxièmes et peut-être même par les troisièmes. Tout dépend de la façon dont fonctionnera la Compression. Toutefois, si l’un de vous reçoit un premier avis de licenciement, puis un second, considérez ce dernier comme superflu et n’en tenez pas compte. Nous ne vous renverrons qu’une seule fois.
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De tous les endroits où j’ai été, poursuivit le jeune homme, je suis parti très vite, parce que je n’ai pas eu envie de croupir à mon âge dans une étroite et stupide vie de bureau, même si les bureaux en question étaient de l’avis de tout le monde ce qu’il y avait de plus relevé dans le genre, des bureaux de banque, par exemple. Cela dit, on ne m’a encore jamais chassé de nulle part, c’est toujours moi qui suis parti, par pur plaisir de partir, en quittant des emplois et des postes où l’on pouvait faire carrière et le diable sait quoi, mais qui m’auraient tué si j’étais resté.

George Saunders (Pastoralia)
& Robert Walser (Les enfants Tanner) 


lundi 20 janvier 2020

Hybrides #29

EAN signifie États d’Amérique du Nord – plus formellement connus sous le nom d’EANR – États d’Amérique du Nord Reconstitués, qui ont vu le jour quelques années après les Grandes Attaques Terroristes et sont la conséquence directe de ces attaques, comme on nous l’a enseigné.
Les Attaques ont été suivies d’un Interlude d’Indécision, durant lequel la question des « droits » - (la Constitution, la Déclaration des Droits, les lois concernant les Droits Civiques, etc.) -, opposée au besoin d’une Vigilance Patriote dans la Guerre Contre la Terreur (VPGCT), était contestée, débat qui s’est soldé par une victoire de la Vigilance Patriote après suspension de la Constitution et de la Déclaration des Droits par ordonnance de l’exécutif. (Je sais, c’est difficile à comprendre. Dès qu’on arrive à la fin d’une phrase de ce genre, on en a déjà oublié le début !)

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C'est George Bush qui s'arrête dans une école primaire pour parler d'éducation. A la fin de son discours, il demande aux écoliers s'ils ont des questions. "- J'en ai deux, répond le petit Mike en levant la main : Où est Oussama Ben Laden ? Et où sont les armes de destruction massive ?" A ce moment, la sonnerie retentit et les gamins s'éparpillent dans la cour. A leur retour, Bush reprend : "Alors les enfants, vous avez des questions ? - J'en ai quatre, monsieur le Président, répond une voix timide au fond de la classe, Où est Oussama Ben Laden ? Où sont les armes de destruction massive ? Pourquoi la récré a-t-elle sonné avec vingt minutes d'avance ? Et où est passé Mike ?"

Joyce Carol Oates (in Le petit paradis)
& Eddie, un sans-abri de Manhattan (cité par Olivier Pascal-Mousselard dans Télérama du 13 mars 2004) 

vendredi 17 janvier 2020

Hybrides #28

Cet après-midi-là marqua le début de ce qu’on baptisa notre « révolution de papier ».
« On va les accrocher de façon à ce que tout le monde puisse les voir, ce sera notre premier acte de guerre. » Ces tracts citaient de nouveaux crimes contre la nation. « Pourquoi les autres seraient-ils les seuls à avoir le droit de dire des conneries ? » grommela-t-il.
Notre premier manifeste en listait quatre.

Ne pas dénoncer un crime contre la nation est un crime contre la nation.
Ne pas savoir ce qu’est un crime contre la nation est un crime contre la nation.
Demander ce qu’est un crime contre la nation est un crime contre la nation.
Penser ou affirmer qu’il y a trop de crimes contre la nation est un crime contre la nation.

« Il en manque un », décrétai-je. Isaac me passa son marqueur.
Je notai ce cinquième et dernier crime sur chaque feuille de papier, puis lui montrai le résultat :

Lire ce tract est un crime contre la nation.

Il passa le bras autour de mes épaules et m’embrassa sur le haut du crâne.
« On forme une équipe formidable, toi et moi », conclut-il.
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L’imagination est la première forme d’action politique.
 
Dinaw Mengetsu (Tous les noms) 
& Coline Pierré (Éloge des fins heureuses)

mardi 14 janvier 2020

Hybrides #27

Je sortis de la prison comme à chaque fois, le cœur lourd d’angoisse. Une journaliste m’attendait à côté du portail devant un petit groupe de manifestants. Les policiers, tous armés, certains tenant des chiens en laisse, étaient bien plus nombreux.
- Bonjour ! me salua la journaliste. Comment va votre fille ?
- Mal, très mal ! Comment voudriez-vous qu’elle aille ?
- Elle espère toujours que le président va s’émouvoir, faire un geste de compassion et qu’il fasse libérer les jeunes ?
L’interview est disponible sur plusieurs sites d’Internet. (…) Je me redresse et j’élève la voix. Certains disent que je crie, mais je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu :
- Compassion ? Ce serait comme couver un œuf de serpent dans l’espoir d’en voir sortir un ange. On ne peut rien attendre d’un homme mauvais et corrompu que de la corruption et de la méchanceté. – Une petite pause pour reprendre mon souffle. – Cet homme que vous appelez président n’est qu’un lâche, enfermé nuit et jour entre les hauts murs d’un palais colonial parce qu’il n’a même pas le courage de sortir dans la rue et d’affronter le peuple. C’est un salopard !
(…) Tout changea en deux heures. Des journalistes m’appelaient du Portugal, du Brésil, du Mozambique, du Cabo Verde, de France, d’Allemagne, me demandant de confirmer. (…)
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Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise.

José Eduardo Agualusa (in La société des rêveurs involontaires)
& Bertolt Brecht