mardi 31 mars 2020

Interlude #6

Le 31 juin ayant été supprimé pour un motif contestable
(apparemment il ne s’agit pas du coronavirus),
et puisqu’en ce 31 mars il est toujours question de confinement,
Binh-Dû vous offre un moment Björk
vibrant de grands espaces
 – et d’un state of emergency beau et intime,
très éloigné de tout décret gouvernemental.

lundi 30 mars 2020

des livres, telle une infinité de possibles


30 juin

La veille il a retrouvé son amie parisienne, voisine du quotidien, chez une commune amie bretonne. La maison donne en terrasse sur le port, comme une proue tournée vers l’embouchure du fleuve, à l’intérieur sont rangés des centaines de livres. Telle une infinité de possibles et d’aventures. Au thé de Noël préférer une tisane de lune – choisir son décalage. C’est la veille et c’est le lendemain, une même affaire de chaises-longues, l’une résiste inexplicablement, par où ça coince, par où ça bloque ? D’évidence cette chaise-longue et lui sont appariés.
Et puis les filles s’en vont camper sur la lande, il garde la maison. La nuit il dort à plat sur un matelas, douloureux néanmoins, il se demande quelle est la plus jouée de ses mises en scène : celle de la première incapacité propice à une révélation seconde ? La mythologie de l’heureuse surprise… Le lendemain matin il y a des bruits de petit-déjeuner en bas – les colocataires –, il attend dans la mise en scène d'une solitude apeurée. Il attend qu’elles reviennent et lui racontent. Il y aura encore un repas festif, quelques notes au piano, et même un double départ vers la gare routière.

dimanche 29 mars 2020

le soleil s'est levé et réveille prématurément


29 juin

Le soleil s’est levé et réveille prématurément qui ne s’était pas garé à l’ombre la nuit précédente. Qui s’était contenté de s’orienter approximativement au souvenir des dernières lueurs du jour. Qui, un peu avant l’aube, s’était bien douté de ce qui l’attendait quand il était sorti uriner sous les étoiles, découvrant le nord au bout de la grande ourse, mais qui, préférant le "tiens" au "tu l’auras", s’était recouché au plus vite, histoire de reprendre le fil de son sommeil.
Il a encore un rêve à terminer, il démarre au radar, pieds nus sur les pédales, va se garer un peu plus loin où il y a un mur. Ferme les yeux mais en vain ; du moins s’étire autant que possible, bâille, s’apprête à bien recommencer la journée. Saisit son pied, ouvre son couteau, commence à trancher un bout de sparadrap à coller sur une ampoule. Alors un infirmier toque à sa vitre, demande si tout va bien, mais oui, pourquoi ? Eh bien parce que c’est le parking des urgences.
Pas foule pourtant, hormis un chat, des oiseaux, était-ce une clinique vétérinaire ? Ça pince quand il redémarre. La nuit il a dû dormir de travers, trop en boule pour un humain. Ou bien il s’est tordu les reins en apposant son sparadrap ? C’est maintenant qu’il aurait besoin d’un médecin. (Comme il n’en a pas sous la main, sur la plage il s’affale et se prescrit une séance d’étirements réparateurs. Mais ça ne veut pas craquer, misère, toujours ce mal de chien...)

samedi 28 mars 2020

au commencement était une éternelle respiration


28 juin

Au commencement était une éternelle respiration. Puis on entendit le chant de la tourterelle, et avec lui apparut le temps. Dès lors il y eut un passé, un présent, et un futur inconnaissable. Pour cet homme en bout de chemin, le chant de la tourterelle ce fut peut-être le moment où il mit le pied pour la première fois dans le blockhaus, après le départ des soldats.
On dirait que le temps s’accélère (à regarder en arrière pour reporter devant soi, comme on plierait une nappe, une étendue égale de temps, disons depuis la pliure des vingt ans, et à constater à quel point on sera vieux). Non, le temps ne s’accélère pas, seulement notre perception du temps. Aussi, revenir au présent, à l’instant. Et le déjà-vu, si nécessairement comparatif, n’y aidera pas. Aller (aussi) vers le jamais-vu.

Y aurait-il gloire à tirer de la montée de température ? De degré en degré repousser les limites de ce que l’on supporte – on croyait que 30 était un maximum et voici que les 35 sont atteints. Le prochain seuil rejoindra la température interne d’un corps humain, ensuite que se passe-t-il, y a-t-il fusion des réacteurs, peut-on être moins chaud à l’intérieur qu’on ne l’est à l’extérieur, reste-t-on le même ? Un jeune homme joue de la guitare sous un arbre. Le vieil homme au blockhaus croyait que tu dessinais dans ton carnet, t’invitais à ajouter des joueurs de tennis là où il y avait un terrain jadis, avant qu’on ne plante les arbres qui ne servent à rien ; tu écris. La statue en pied t’ignore en regardant la basilique où tu aurais pu te réfugier si d’abord tu n’avais vu ce jardin arboré. Une jambe fléchie, le dos tagué, un geste familier de la main gauche cherchant sa tresse de cheveux sales. Trois heures sonnent au clocher. Il y avait un avant, c’est terminé, voici l’après. Dans un parc semblable, à Kodaikanal, un homme assis en tailleur sur la pelouse regarde les gens, le vent dans les ramures. C’est un inconnu, toi-même il y a dix ans, étreint soudain par une impression de déjà-vu. Il est l’heure, la médiathèque est ouverte où il fait frais davantage, se rapprocher du soir.
 « Il fait trop frais, dit-elle, dommage… » Et elle quitte le parvis de la basilique pour replonger dans la canicule. Toi, tu aurais même accepté de chanter des prières. Variante : « Le nom de votre bateau me rappelle de mauvais souvenirs, dommage… » Et elle se laisserait couler au lieu d’attraper la bouée de sauvetage. Peut-être le jeune homme qui te semblait jouer de la guitare pratiquait une activité aussi différente que l’écriture l’est du dessin. Laquelle ? Dans quelle situation dis-tu « Dommage… » avec la satisfaction du réconfort escamoté ? De quel devoir se croit investi le metteur en scène de ta vie (celui qui détermine ton "emploi", qui décrète le juste niveau d’espérance correspondant aux déceptions retentissantes de ton passé) ? Si une sensation de déjà-vu vient obstruer le plaisir c’est que quelque chose cloche au niveau du plaisir. Au niveau des causes du plaisir et non du sentiment. Quelque chose s’est glissé parmi les causes, un sentiment parasite, un commentaire ingrat : « Déjà vu ». Car à défaut d’évidence on pense. Mais ne pas s’y méprendre : il y a l’évidence de la bêtise et l’évidence de la sagesse. Tu es inapte à l’une (expulsé du paradis de l’inconnaissance) mais tu aspires à l’autre. Tu repars.

Rafraîchi ? Toute éolienne industrielle génère un accablant sentiment de déjà-vu. Quand elles auront infecté tous les paysages, le monde sera fini. Mais les éoliennes ne viennent pas de nulle part, de même que ton pessimisme écologique n’est pas étranger au peu de confiance que tu t’accordes à toi-même. Les éoliennes viennent d’êtres humains à qui l’on n’a pas enseigné la beauté. Et cette lacune fera péricliter l’humanité.
Les éoliennes industrielles procurent instantanément un déjà-vu de déplaisir. Elles sont la métaphore du déjà-vu de déplaisir, son emblème, son orgueil. Le déjà-vu de déplaisir est une notion peu digne d’intérêt. Tout ce qu’il y a à en penser c’est à la dépasser – quel ennui ! (Quant à la sensation troublante, onirique, de "déjà-vu", savamment dénommée paramnésie, il n’en est, jusqu’à présent, absolument pas question.)

vendredi 27 mars 2020

le soleil est la métaphore d'un amant indélicat


27 juin

Le soleil est la métaphore d’un amant indélicat. Pour ne pas dire un violent égoïste. Ou un salopard de queutard, flûte, où est passée ta délicatesse ? Où est passée la magie ? Mais est-ce la magie qui fait défaut ou toi qui es absent ? Il y a bien l’air du large, la mer qui brise sur les rochers, il y a le parfum des fougères, il y a les chants d’oiseaux, ah il y a ta respiration et le contact du sable sous tes pieds nus et la fraîcheur des vaguelettes qui les baignent. Mais c’est peu. Est-ce peu ou est-ce contrebalancement de l’excès de chaleur, des coups de soleil, de l’absence totale de nuages (et donc du ciel), d’un sentiment de fatigue, de tristesse, de certaine lassitude, de solitude ?
« C’était mon terrain de jeu quand j’étais gamin, vient te confier un homme âgé en canotier, vous auriez dû voir comment c’était il y a vingt ans ». Il y a vingt-cinq ans pourtant tu y étais, tu ne te souviens pas, « il n’y avait pas tous ces arbres qui ne servent à rien, continue l’homme, la vue était dégagée, il y avait seulement le grand pin là-bas, qui est masqué maintenant, et le blockhaus en-dessous où j’allais jouer après la guerre ».
Le déjà-vu étouffe la magie, le déjà-vu c’est le lieu qui a disparu avec le temps. Même s’il est resté identique – les mêmes chemins, les mêmes arbres, la même vue – alors c’était une première fois, c’était neuf et surprenant, et ce qui s’est déposé depuis était encore à venir (il y avait aussi une autre qualité d’espérance). Tu ne te souviens pas qu’on ait planté là de nouveaux arbres qui ne servent à rien sauf à obstruer la vue sur la mer. Tu aimes bien ces arbres, leur ombre te paraît utile. Mais tu n’as pas joué ici quand tu étais enfant, tu n’étais pas né et tu n’étais pas l’un des amis en culottes courtes de l’homme au canotier. Pendant la guerre, il était interdit d’aller sur le littoral.
Ta pensée accablée du monde est-elle la métaphore de ta vision de toi ? Ou sert-elle de justification ? Ou y a-t-il simple coalition ? Non c’est toi, toujours. Si la joie est l’expression du vivant, la souffrance en est l’illusion. La souffrance est réelle et totalitaire mais elle n’est pas la réalité. Ainsi la joie revient quand les sensations ne sont pas seulement le souvenir de jours plus heureux. Que défigent les souvenirs heureux !