27 juin
Le soleil est la métaphore d’un amant
indélicat. Pour ne pas dire un violent égoïste. Ou un salopard de queutard,
flûte, où est passée ta délicatesse ? Où est passée la magie ? Mais
est-ce la magie qui fait défaut ou toi qui es absent ? Il y a bien l’air
du large, la mer qui brise sur les rochers, il y a le parfum des fougères, il y
a les chants d’oiseaux, ah il y a ta respiration et le contact du sable sous
tes pieds nus et la fraîcheur des vaguelettes qui les baignent. Mais c’est peu.
Est-ce peu ou est-ce contrebalancement de l’excès de chaleur, des coups de
soleil, de l’absence totale de nuages (et donc du ciel), d’un sentiment de
fatigue, de tristesse, de certaine lassitude, de solitude ?
« C’était mon terrain de jeu quand
j’étais gamin, vient te confier un homme âgé en canotier, vous auriez dû voir
comment c’était il y a vingt ans ». Il y a vingt-cinq ans pourtant tu y
étais, tu ne te souviens pas, « il n’y avait pas tous ces arbres qui ne
servent à rien, continue l’homme, la vue était dégagée, il y avait seulement le
grand pin là-bas, qui est masqué maintenant, et le blockhaus en-dessous où
j’allais jouer après la guerre ».
Le déjà-vu étouffe la magie, le déjà-vu
c’est le lieu qui a disparu avec le temps. Même s’il est resté identique – les
mêmes chemins, les mêmes arbres, la même vue – alors c’était une première fois,
c’était neuf et surprenant, et ce qui s’est déposé depuis était encore à venir
(il y avait aussi une autre qualité d’espérance). Tu ne te souviens pas qu’on
ait planté là de nouveaux arbres qui ne servent à rien sauf à obstruer la vue
sur la mer. Tu aimes bien ces arbres, leur ombre te paraît utile. Mais tu n’as
pas joué ici quand tu étais enfant, tu n’étais pas né et tu n’étais pas l’un
des amis en culottes courtes de l’homme au canotier. Pendant la guerre, il
était interdit d’aller sur le littoral.
Ta pensée accablée du monde est-elle la
métaphore de ta vision de toi ? Ou sert-elle de justification ? Ou y
a-t-il simple coalition ? Non c’est toi, toujours. Si la joie est
l’expression du vivant, la souffrance en est l’illusion. La souffrance est
réelle et totalitaire mais elle n’est pas la réalité. Ainsi la joie revient
quand les sensations ne sont pas seulement le souvenir de jours plus heureux. Que défigent les souvenirs heureux !