mercredi 17 juin 2020

est-ce sénilité ou attraction sélène ?


17 août
10ème jour

Tu pleures encore, mais est-ce la sénilité, déjà ? Ou un mouvement de lune, une attraction sélène ? L'effet d'un basculement du diaphragme, d'un coup la place pour respirer, ressentir, éprouver la tendresse en souffrance. C'est une femme qui l'inspire et transfigure, une fois de plus, là est le courage. Les deuils affrontés, passés, en cours, à venir. C'est elle et bien sûr ce n'est pas seulement elle – c'est un écho. Car un jour, pour toi aussi, certaines couleurs seront révolues, il n'est jamais trop tôt pour se préparer à ses propres résolutions. Vois où te ramènent tes rêves ! Et retourne au jardin, les guêpes folâtrent au-dessus du puits. Tant qu'elles ne te piquent pas tu diras qu'elles folâtrent. Mais tu ignores tout de ce qui les agite, nul essaim ne s'accroche dans le poirier. La terre est sèche aux pieds des fraisiers, le soleil trace une ombre oblique et frémissante, la bonne heure pour arroser. En profite le lézard contre le mur. Pour les haricots l'entreprise est plus basique – un tuyau verse dans une rigole, à ras bord, puis dans la seconde. Mais pour les tomates mieux vaut une main experte – ni trop ni trop peu, épargner les feuilles, se contorsionner entre les canisses. Tu essaies de repérer un oiseau chamarré à contre-jour, espère ! Oui, tu espères, il y a de la vie après la mort. La perpétuation de l'envie de courir. Certains n'ont pas attendu longtemps pour rencontrer leur mission (d'autres ne l'ont pas vue passer, d'autres encore se dispensent de tout conscientiser). Dans la maison voisine on fête un anniversaire avec une scie. Ta fenêtre ouverte apporte un peu d'air frais ainsi que des rires que tu écartes pour plonger dans le prochain sommeil.

mardi 16 juin 2020

et les abeilles feraient miel de toute fleur


16 août

Et les abeilles feraient du miel de toutes les fleurs d'une altitude moyenne et profuse. Le matin, tu en reprendrais dans le pot, à la lame d'un couteau, pour en mettre sur ton pain. Le soleil ne taperait qu'au-dehors, tu regarderais le ciel sans aucune peur depuis ton côté de la fenêtre, et sur une antédiluvienne platine tu placerais le disque d'un enregistrement des rhapsodies de Brahms. Il y aurait de l'eau aussi, puisée dans le puits du jardin ou à une autre source claire. Un livre peut-être, évoquant un monde en sursis mais qui fut beau jadis et qu'il t'est offert d'arpenter tel un visiteur venu du futur. Quelle chance tu as, ne cesses-tu de te répéter, les lapins bondissent dans les clairières, l'un d'eux bientôt roussira dans la cocotte avec des rattes venues elles aussi du jardin. Ce droit de prédation animale, tu le concèdes à ceux qui te nourrissent, sur tes jambes une enfilade de piqûres d'insectes. À l'heure de la sieste tu te connectes avec le vaisseau en circulation stationnaire dans l'espace. Comment allez-vous ? Ils ne répondent pas, occupés à de plus vastes soucis. Mais toi, comment vas-tu ? Un sourcier méditatif repositionnes tes organes de manière à ce qu'ils n'empiètent pas les uns sur les autres ni ne se pressent trop contre les barreaux de ta cage thoracique. Tu laisses faire, tu laisses agir, les yeux clos sur l'azur de souvenirs anciens – tu n'étais même pas né. Un fou n'avait pas encore eu l'idée du moteur à explosion. Sur les vignes une aura horizontale accompagne ton retour à la maison, chacune des cellules de tes muscles réclame de l'eau, encore de l'eau. Tout ton royaume connecté pour un verre d'eau ! Et un fourmillement sous le diaphragme, le soir tombe de plus en plus vite. Tu prêtes attention où tu poses le pied, près du banc de la lectrice - ta mère - sur la falaise. Tu ramasses de petits cailloux oblongs, insoupçonnables de former planète, et tu en bouches les trous de guêpe dans le sol. Un petit garçon écrase les sauterelles rouges au moment où elles se posent, tu ne te trouves rien de commun avec lui, tu le plains. La nuit, un rythme monolithique traverse les collines, depuis le village où l'on jette les filles dans le canal pour les repêcher, seins collant au chemisier. Tu fermes tes oreilles et rêves d'ailleurs.

lundi 15 juin 2020

le son d'une bassine en plastique vide

15 août
8ème jour ?

Le son d'une bassine en plastique vide tombant sur du carrelage, et tu pourrais te mettre à pleurer aussi bien. Ou pire, ce serait pire, des pleurs sans joie, terrifiés, sangloter à genoux sur le carrelage et savoir comme pour la première fois que les cœurs cessent un jour de battre, à commencer (ou à finir) par le tien. Comme une révélation. Qu'y faire ? Comment faire, sachant cela ? Pourquoi faire encore quoi que ce soit ? Tu aurais oublié d'un coup tous tes autres savoirs.
Au contraire tu rêves : tu es sur une plage face à la mer et peu à peu enfle une vague immense éclipsant l'horizon, lointaine encore, assombrissant le ciel. Tu cours vers la forêt, tu cours vers l'océan, tu cherches un rocher pour t'y abriter, tu regardes, fasciné, la vague progresser, tu ris des choix dérisoires qui te sont laissés. Tu vas être englouti et tu ris, tu es heureux, tu es ivre comme l'autre jour dans la montagne, tu appelles l'eau de toutes les cellules de ton corps.
Ici les tomates sont légendaires. Elles viennent de Russie ou de Suisse, paraît-il, et pèsent le poids du cœur d'un veau. On en a plein la bouche, de leurs arômes juteux, tu n'as jamais rien mangé de pareil, n'était-ce pas le véritable fruit de l'arbre de la connaissance ? Il en est de plus petites aussi, entortillées autour d'une canisse, qu'on peut cueillir entre deux doigts et déguster tièdes dans le jardin. Ici la terre et l'eau sont des bénédictions, les mûres aussi s'offrent à profusion.
Et les figuiers embaument. Quand le soir tombe, la chèvre, le bouc et leur petit interpellent le promeneur, tenté de leur ouvrir la barrière. Dans ce monde il n'y aurait pas de prédateur et les hommes et les animaux vivraient en totale intelligence et disponibilité. Les guêpes fouisseuses ne piqueraient pas la lectrice assise sur son banc, la religion aurait été définitivement supplantée par la spiritualité, le ciel aurait retrouvé sa clarté d'antan et les chouettes berceraient ton sommeil.

dimanche 14 juin 2020

tu te demandes pourquoi une telle émotivité

14 août
Septième jour


Du col d'Urine (le troisième jour) à la cascade de la pisse (le septième jour), tu auras fait l’équivalent de seize fois l'ascension et la descente de la Tour Eiffel. Mais quand bien même ce que tu préfères dans la montagne c'est toi (quatrième jour), la montagne te manquerait dans les escaliers de la Tour Eiffel. Les paysans alpestres des siècles passés, face à la rudesse de leurs conditions d'existence, devaient être confits de pénitence, ce qui expliquerait qu'un peu d'irrévérence scatologique leur ait tenu lieu d'humour. L'eau abondante chutée d'une anfractuosité de la falaise alimente un canal où tu te laves les mains, si limpide. L'ivresse te gagne, si rapide. Si léger, aujourd'hui tu jeûneras pour mieux apprécier encore les odeurs de pin. C'est le dernier jour de ton séjour ici-haut et ton corps s'est tellement affûté qu'il serait capable de battre le record d'ascension de la Tour Eiffel. Mais tu ne rentres pas à Paris, tu mesures la solennité de la dernière descente par un sentier escarpé, ta voiture est garée à côté de l'église du village. Tu vas repartir dans une plaine du Sud, un peu en-dessous du parallèle qui te mènerait à New York. Ce n'est pas encore la fin. Reste une centaine de mètres quand ton téléphone à peine rallumé t'annonce un message. Dans l'église tu es proche de pleurer sous la lumière des vitraux. Sortie de l'autoradio, "Superstition" de Stevie Wonder te brouille la vue. C'est ta mère qui t'attend dans la plaine, une dame âgée traverse au passage piétons et ça y est, des larmes coulent face au soleil couchant. Tu te demandes pourquoi une telle sensibilité et soudain tu comprends qu'avant d'entrer dans l'église tu as écouté sur le répondeur la voix de cette amie si chère à ton cœur, que son cœur – ah, le cœur de ton amie... – émeut profondément le tien, que c'est une chance inouïe de la connaître, elle si vivante, si immortelle dans la beauté du monde.

samedi 13 juin 2020

être vivant - ce privilège


13 août
Sixième jour

Être vivant – ce privilège. De la respiration, du pas sur la Terre, du paysage qui se déploie. La vision même est trop grande pour tes yeux. Plus bas, sur la croix du calvaire, tu lis la destinée enjointe aux habitants de ce pays : ce sera la souffrance du saint, du pénitent ou du révolté (cette dernière étant franchement déconseillée). Sur une photographie vieille de plus d’un siècle tous les visages semblent hébétés, méfiants, stupides. Choisis ta souffrance ! Mais la souffrance sans doute était réelle au sein de l’indifférente beauté des alpages. Ou bien non ? Y a-t-il encore souffrance quand on devient de son vivant un saint ? Le baiser magique sur le genou de la petite fille est réellement magique. ET UN JOUR VOUS LE SAUREZ ! Un unique coup de tonnerre. Apposer la main, fermer les yeux, inspirer, respirer… Guérir. Seules les chèvres portent des clochettes. Impossible de donner tort au berger qui te considère avec mépris, toi qui n’es pas d’ici. Ton métier ne consiste pas à engraisser des moutons dans le but de les mener à l’abattoir. Mais tu es de nature discrète, un peu sauvage et réprobatrice, vous pourriez être frères. Si les gens étaient moins bruyants ils ne te feraient pas tant préférer être seul. Ils croient que le silence se situe entre la solitude et la mort, et jusque près du ciel ils viennent vous emmerder, toi et les marmottes, tu regardes loin pour t’épargner leurs taches floues. Tu ramasses des pierres fractales dont tu lestes ton sac.