Septième jour
Du col d'Urine (le troisième jour) à la cascade de la pisse (le septième jour), tu auras fait l’équivalent de seize fois l'ascension et la descente de la Tour Eiffel. Mais quand bien même ce que tu préfères dans la montagne c'est toi (quatrième jour), la montagne te manquerait dans les escaliers de la Tour Eiffel. Les paysans alpestres des siècles passés, face à la rudesse de leurs conditions d'existence, devaient être confits de pénitence, ce qui expliquerait qu'un peu d'irrévérence scatologique leur ait tenu lieu d'humour. L'eau abondante chutée d'une anfractuosité de la falaise alimente un canal où tu te laves les mains, si limpide. L'ivresse te gagne, si rapide. Si léger, aujourd'hui tu jeûneras pour mieux apprécier encore les odeurs de pin. C'est le dernier jour de ton séjour ici-haut et ton corps s'est tellement affûté qu'il serait capable de battre le record d'ascension de la Tour Eiffel. Mais tu ne rentres pas à Paris, tu mesures la solennité de la dernière descente par un sentier escarpé, ta voiture est garée à côté de l'église du village. Tu vas repartir dans une plaine du Sud, un peu en-dessous du parallèle qui te mènerait à New York. Ce n'est pas encore la fin. Reste une centaine de mètres quand ton téléphone à peine rallumé t'annonce un message. Dans l'église tu es proche de pleurer sous la lumière des vitraux. Sortie de l'autoradio, "Superstition" de Stevie Wonder te brouille la vue. C'est ta mère qui t'attend dans la plaine, une dame âgée traverse au passage piétons et ça y est, des larmes coulent face au soleil couchant. Tu te demandes pourquoi une telle sensibilité et soudain tu comprends qu'avant d'entrer dans l'église tu as écouté sur le répondeur la voix de cette amie si chère à ton cœur, que son cœur – ah, le cœur de ton amie... – émeut profondément le tien, que c'est une chance inouïe de la connaître, elle si vivante, si immortelle dans la beauté du monde.