dimanche 15 novembre 2020

La rupture amoureuse renvoie au micro-ondes

15 septembre

La rupture amoureuse renvoie au micro-ondes : tu ne comprends pas vraiment ce qui se passe mais incontestablement quelque chose se produit – d’abord ça tourne. Tu n’es pas non plus complètement idiot, tu sais qu’à la sonnerie il s’agira d’ouvrir la porte et de saisir le plat, et qu’il faudra faire attention car ce sera chaud. À quel point, tu en doutes toujours un peu – s’il faut se munir de maniques. Et s’il est sans danger de humer la fumée. La rupture amoureuse te remémore cette départementale qui longe les centrales nucléaires, et tu remontais la vitre et tu fermais les aérateurs, et si tu avais pu tu te serais retenu de respirer tant que le panache aurait été visible. Là c’était toi qui étais dans le micro-ondes, à transpirer sans climatisation. Tu déjeunes d’une portion individuelle, entre ce qui était avant et un futur inimaginable hors le souvenir d’amours calcifiées. Tu es tenté d’attendre que cela refroidisse complètement, comme la cessation de tout mouvement brownien. Alors il faudrait recommencer toute l’opération – ou te débarrasser de ton four ? Des agitations de l’amour ? Tu ignores le niveau de nocivité de ce qui bouge encore, invisible dans la matière. Sur ton agenda, des rendez-vous fixés avec confiance sont à rayer mais il faudra bien passer ces jours. Cela forme des pâtés sur la page, tu aurais dû utiliser un crayon à papier. Dans ton assiette la sauce fige. Du micro-ondes ne pourrais-tu conserver que le minuteur ?

samedi 14 novembre 2020

Tant d'incompatibilités et une si parfaite évidence

14 septembre
 
À Charlotte on offrirait des gants de boxe.
Le ciel est sans nuage et c’est toi qu’on soupçonne de folie ?
Il suffit d’une voix, quelques mots creux au téléphone.
Frapper par crainte d’être frappé.
 
La nudité révèle un double regard, l’un expectatif, l’autre résolu.
À l’inverse il suffirait d’un rire surgi de la foule.
Nos lèvres tuméfiées par les baisers.
Tant d’incompatibilités et une si parfaite évidence.
 
Le silence est un rythme, écoute-la respirer.
Un jour elle prend appui, le suivant elle repousse.
Ce qui se dégage est trouée aveuglante.
Mais toujours la danse comme un vertige et un écho.

vendredi 13 novembre 2020

Un jour tu cesseras de voir et ce sera mauvais signe

13 septembre 

Et d’un coup tu n’es plus un VRP mais un ami avisé. Tu dis ce que tu as vu, entendu, pensé, qui se révèle d’une teneur tout sauf inévitable. Tu te souviens de ce gourou qui assurait en être à sa dernière incarnation, ses fidèles lui tricotaient un bonnet et des mitaines orange. Il doit être mort depuis le temps, et dans son temple on emploie le mot « parti ». Hors de question qu’aucun de ces danseurs ne meure jamais, ils se meuvent si sensiblement que ta pupille s’humidifie. Un jour tu cesseras de voir et ce sera mauvais signe. Ton train a vingt minutes de retard à cause d’un contrôle des douanes.

Voudrais-tu encore parler de Charlotte ? De qui d’autre sinon ? Des gens qui tombent soudain dans la rue alors qu’ils mettaient tranquillement un pied devant l’autre – une vraie épidémie ? Non, c’est trop dangereux. Une preuve d’amour consisterait à ne pas ouvrir le courriel que celle que tu aimes regrette de t’avoir envoyé, elle t’en prierait et malgré toutes tes bonnes raisons de l’ouvrir tu l’effacerais. Une preuve d’amour consisterait d’abord à aimer celles que tu prétends aimer. À les voir, les écouter. Personne ne te somme de répondre. Cela peut attendre. L’attente est une ordalie.

jeudi 12 novembre 2020

"Inévitable" sonne comme un oracle

12 septembre

Cette chambre d’hôtel est parfaite. Rien à y redire à la lumière du jour. Rien de particulièrement glauque, pas de coulures sur les murs, de moisissures dans la douche, de poussière sur les voilages.  La fausse lithographie est discrètement abstraite et marronnasse, le lit surtout est un bonheur. Tu voudrais l’emporter chez toi, son matelas ferme, sa couette moelleuse… Mais tu y reviendras au soir, d’abord vivre la journée. Tu te retrouves face à l’embarras de choisir parmi mille deux cents places, comme la veille tu te poses à l’orchestre côté jardin. Tu te lèves, essayes d’autres angles, te dégourdis les jambes, te rassieds. Tu prends des notes, tu bois de l’eau. Tu sors déjeuner. Tu regardes, tu écoutes, tu penses. Tu prononces un seul mot intelligible, qui sonne comme un oracle : « Inévitable ». Tu rassembles tes affaires, tu repars. Il fait jour au-dehors. Cette ville ne te dit toujours rien mais tu ne préfères pas la télévision. Tu te fais l’effet d’un représentant de commerce en tout début de carrière, au moment où il pourrait encore s’épargner un destin d’abruti scotché devant les chaînes d’info. Ou bien expert en points chauds où boire et payer pour du sexe. En trois heures tu ne rencontres personne, exceptée une vieille dame qui veut t’offrir le Nouveau Testament et le salut éternel. Il y a une fête techno en haut de Fourvière, la vierge est toute dorée des derniers rayons du soleil. Au retour les pizzerias fument du néon. Ta chambre paraît moins sordide quand tu l’éclaires avec les deux lampes de chevet et celle du petit bureau. Et quand tu fermes les yeux tu ne vois plus clignoter la diode rouge du détecteur d’incendie.

mercredi 11 novembre 2020

En amour, il s'agit de ne pas voir le manque d'amour

11 septembre 19

Tu prends le train pour Lyon. Tu le sais depuis deux mois. Tu as les billets depuis deux mois, l’aller, le retour. Tu les as consultés une dizaine de fois, vérifier les horaires. La veille même tu as comparé avec un mail de confirmation. Tu as minuté le trajet jusqu’à la gare, réglé ton réveil. Tout parfait. Tu arrives avec un peu d’avance à Austerlitz. Tu ne vois pas ton train sur le panneau des départs… Une brillante intuition se fraye un passage dans ton cerveau : et si les trains pour Lyon partaient de la gare de Lyon ? Tu vérifies sur ton billet, eh oui, c’est inscrit en toutes lettres. Tu cours comme un troufion de l’armée napoléonienne ployant sous son barda pour, d’une rive à l’autre, d’une gare à l’autre, attraper ton train hors d’haleine deux minutes avant que ses portes ne se ferment.

Tous les aveuglements sont bons pour rendre sa vie héroïque. Dans les mornes plaines il s’agit d’ignorer les éoliennes, les antennes-relais et les pylônes. En amour il s’agit de ne pas voir le manque d’amour. Ô, toutes ces verticalités factices ! Un avion de chasse passe en rase-forêts, rappelant que nous sommes en guerre. Une exécutive se dit "impactée" par le "downgrading" de son "binôme". Un barbu de trois jours en chemise blanche et oreillette tente d’enrayer une invasion extraterrestre sur son smartphone. Un publicitaire calcule ce qu’il gagnerait (par mois fois douze) à cesser de fumer. Des vaches placides sous un ciel moutonneux ne nous regardent pas passer au tiers de la vitesse du son, nous sommes si vains dans notre précipitation. Chercherions-nous à gommer nos erreurs ?

Cherches-tu à ne pas avoir envoyé un brouillon de courriel par inadvertance ? Cherches-tu quelque chose de particulier dans cette supérette (ainsi qu’un employé suspect en émet l’hypothèse) ? Les gens mangent-ils ces choses-là sans se poser de questions ? Viens-tu d’être l’objet d’une réflexion raciste par destination ?

Étranger à cette ville, sans doute tu te méfies excessivement. À moins que tu ne frôles les faits divers comme les trottinettes et les tramways. Quoi qu’il en soit tu n’hésites pas à choisir ton fleuve. Et puis c’est la nuit, la chambre d’hôtel si déprimante que tu allumes la télévision et ce n’est même pas pire ainsi. Éteins. N’ajoute plus rien. Dors.

lundi 9 novembre 2020

Interlude #12

(Le compte à rebours est enclenché :
prochaine série de textes dès le mercredi 11 novembre...)