11 septembre 19
Tu prends le train pour Lyon. Tu le sais depuis deux mois. Tu as les billets depuis deux mois, l’aller, le retour. Tu les as consultés une dizaine de fois, vérifier les horaires. La veille même tu as comparé avec un mail de confirmation. Tu as minuté le trajet jusqu’à la gare, réglé ton réveil. Tout parfait. Tu arrives avec un peu d’avance à Austerlitz. Tu ne vois pas ton train sur le panneau des départs… Une brillante intuition se fraye un passage dans ton cerveau : et si les trains pour Lyon partaient de la gare de Lyon ? Tu vérifies sur ton billet, eh oui, c’est inscrit en toutes lettres. Tu cours comme un troufion de l’armée napoléonienne ployant sous son barda pour, d’une rive à l’autre, d’une gare à l’autre, attraper ton train hors d’haleine deux minutes avant que ses portes ne se ferment.
Tous les aveuglements sont bons pour rendre sa vie héroïque. Dans les mornes plaines il s’agit d’ignorer les éoliennes, les antennes-relais et les pylônes. En amour il s’agit de ne pas voir le manque d’amour. Ô, toutes ces verticalités factices ! Un avion de chasse passe en rase-forêts, rappelant que nous sommes en guerre. Une exécutive se dit "impactée" par le "downgrading" de son "binôme". Un barbu de trois jours en chemise blanche et oreillette tente d’enrayer une invasion extraterrestre sur son smartphone. Un publicitaire calcule ce qu’il gagnerait (par mois fois douze) à cesser de fumer. Des vaches placides sous un ciel moutonneux ne nous regardent pas passer au tiers de la vitesse du son, nous sommes si vains dans notre précipitation. Chercherions-nous à gommer nos erreurs ?
Cherches-tu à ne pas avoir envoyé un brouillon de courriel par inadvertance ? Cherches-tu quelque chose de particulier dans cette supérette (ainsi qu’un employé suspect en émet l’hypothèse) ? Les gens mangent-ils ces choses-là sans se poser de questions ? Viens-tu d’être l’objet d’une réflexion raciste par destination ?
Étranger à cette ville, sans doute tu te méfies excessivement. À moins que tu ne frôles les faits divers comme les trottinettes et les tramways. Quoi qu’il en soit tu n’hésites pas à choisir ton fleuve. Et puis c’est la nuit, la chambre d’hôtel si déprimante que tu allumes la télévision et ce n’est même pas pire ainsi. Éteins. N’ajoute plus rien. Dors.