jeudi 26 mars 2020

tu es parti à la nuit afin de ne pas fuir sous...


26 juin

Tu es parti à la nuit afin de ne pas fuir la canicule sous la canicule. Comme on s’enfuit. C’est une course contre le jour, qui s’avance déjà de l’autre côté du globe, trop tôt, as-tu trop attendu ? Tu fuis et tu t’arrêtes, mal à la tête, dormir un minimum avant qu’il ne soit trop tard. Bien sûr le soleil te réveille prématurément à travers le pare-brise. Tu reprends ta course plein ouest bien qu’il aille plus vite que toi, enfin tu arrives à la mer.
La voilà, tu titubes dans le sable. Oh tu es mal en point, la ville t’a meurtri pendant tous ces mois de petit air et d’horizons restreints. Tu es venu chercher ta guérison au sein de ce paysage que tu connais par cœur. Y es-tu ? Le soleil te brûle, voudrais-tu être ailleurs ? Ta cohérence c’est la connexion, mais ta tristesse c’est quand les sensations sont le souvenir de jours plus heureux. Et chassent les hirondelles sur fond de mer émeraude.
Les enfants rient, ils n’ont pas connaissance de la catastrophe en cours. Se reconnecter à l’enfance, c’est parvenir à oublier (momentanément) ses connaissances. Oublie un peu ! On n’est pas bien ici ? Il s’agit toujours d’être le maître de ses pensées, il s’agit de ne pas vouloir n’être que le metteur en scène de sa douleur (compulsivement). La joie demeure, quelque part, partout ? Elle attend. Il faut que tu te donnes l’autorisation de vouloir – mieux.
Il y a de la joie chez les hirondelles, et elles nichent dans la dune juste derrière toi – tu ne voyais pas ! Puis tu auras grand besoin de courage. Surtout pas de regret, mais penser à être au plus haut de soi. Tu t’étais enfermé dans tes pensées ferrées, condamné à perpétuité et cela te semblait juste, et cela t’a procuré un soulagement. Oui il te faut du courage, non plus celui du prisonnier mais celui de l’hirondelle. Ainsi qu’un peu d’ombre encore…

mardi 24 mars 2020

Interlude #5

"Tu connais la mélancolie et la nostalgie.
Et l'émotion d'une belle musique, d'un mot ou d'un tableau.
La beauté est la seule éternité possible."

Rosa Montero
(in Des larmes sous la pluie, premier tome
d'une formidable série futuriste.
Dans le troisième tome - Le temps de la haine - 
il est fait référence aux
Variations Enigma d'Edward Elgar)




 


samedi 21 mars 2020

mais comment à quiconque reprocher un manque...

21 juin

           Mais comment à quiconque reprocher son manque d’imagination ? Le perpétrateur est la victime. S’aviserait-il de l’un seulement de ces rôles qu’il en concevrait la tentation de mourir. Or cela nous ne le souhaitons pas, aussi prétentieux soyons-nous.
           Binh-Dû s’aventure dans un rêve périurbain, un sentier sablonneux bordé d’arbres secs le mène à un talus derrière lequel s’étend un paysage horriblement raclé par des engins de terrassement. Il en a les os transis. Il râle, il ennuie son amie.
           Qui s’en va regarder ailleurs. Peut-être dénichera-t-elle à l’oreille un oiseau, dans ce qu’il reste de forêt ? Son sourire d’enfant contenait déjà la tristesse de celle qui a tout compris de la mort et de la vie. Sa joie consistait à choisir et à toujours espérer.

           Je n’en dirais pas autant de Charlotte. Elle donne comme on se noie, elle se sent heureuse à en mourir, sans larmes, terrorisée. Dans la rue elle avance à grands pas, un léger sourire aux lèvres, on la croirait invulnérable. Elle cherche un bon interlocuteur, qui la comprendrait. Elle cherche aussi à n’être pas comprise, ça la rassure et la désole. Elle te regarde.

vendredi 20 mars 2020

tu es la maison de ton manque d'imagination


20 juin

           Tu es la maison de ton manque d’imagination. C’est toujours le cas, non : la raison de tes actions ? Tu viens de là aussi, comme la plupart des enfants – fruits du manque d’imagination. Ou bien cette vision est-elle par trop cynique ? Le cynisme est-il préférable à l’idiotie ? Mais le cynisme est-il en soi une idiotie ? Et toute question est-elle de trop ?
           La radio bourdonne comme une mouche à merde. Un écrivain voyageur s’y vante d’avoir sublimé la mauvaise conscience de son empreinte-carbone, a-t-il conscience de ne pas savoir écrire ? Tant de poncifs maquillés en découvertes. Tant de soumission incorporée avec un petit rire faussement modeste, puis infligée négligemment en retour.
           Je voulais parler de Charlotte parce qu’elle se débat avec sa violence. Celui qui l’aimera devra faire attention à ce qu’il dira, il ne devra pas trop espérer non plus. Davantage qu’elle, mais pas trop. Binh-Dû est fondé à interpréter toute attirance pour la figure de la-femme-d’un-autre. Réfuter, tout autant ne mène à rien. Seul l’amour irraisonné vaut imagination.

jeudi 19 mars 2020

tu sirotes un cassis régressif


19 juin

           Tu sirotes un cassis régressif. Les duellistes au marteau sur le chantier voisin ne sont plus qu’un – leur mur s’érige d’un seul bloc des deux côtés. On redescend ? Sinon il faudrait encore parler du tiroir mal graissé à la morgue et de l’employé pas pompeux pour un sou manipulant avec dégoût un drap de sommeil éternel. Charlotte va bien, je veux encore parler d’elle.
           Le type l’a soutenue jusqu’à son lit, a disposé à portée de main une bassine en plastique, et il a veillé sur son coma. Enfin, c’est ce qu’elle en a déduit quand elle s’est réveillée en milieu d’après-midi, seule et avec une énorme envie de faire pipi. Dans le congélo restait un fond de vodka. L’épicier du quartier l’a saluée d’un « Bonjour princesse ! » et elle a ri, comme toujours.
           Binh-Dû quant à lui rêve d’une femme mariée qu’il a beaucoup aimée, le mari regarde ailleurs, à quelques rangées de distance en contrebas. « Je t’aime », ne peut s’empêcher de murmurer Binh-Dû, et sur le moment il le pense vraiment, elle se trouble et le quitte. Mais ils se sont embrassés, non, à moins qu’il n’ait rêvé ? Il se réveille en sursaut.
           Un jour encore, ne sera pas de trop. Sur le dos, les os replacés dans leurs encoches, ça craque. Un jour il n’y aura plus de violence, de solitude ni de tristesse. Un jour il n’y aura plus de souvenirs abrupts mais un supplément de vie au-devant de soi. Un jour, et ce ne sera pas la mort envisagée comme une glorieuse étape. La maison aux murs érigés sera habitée.