jeudi 29 août 2024

On est là, tout va bien

"On cherchait un endroit où se planquer,
ou quelqu'un qui nous ferait rire"

Rouge Elea

 Rouge Elea - On est là tout va bien ! (début création)

https://vimeo.com/647293786

... en prolongation de considérations... 
(cliquer sur le bleu)

mercredi 21 août 2024

Toujours la même planète

jeudi 6 octobre
 (9/9)

[le jour suivant ce jour d'avant]

Il reste encore la promesse d'une ascension avant de m'en retourner dans la plaine. J'ai changé de massif ou bien non, ce sont toujours les Alpes mais d'autres cirques de montagne. C'est toujours la même planète. La terre est humide au départ, pour ce dernier jour le dénivelé est le plus raide. En bas, donc, il y a de l'eau, et une cascade qui dévale entre les rochers d'une forêt obscure. Le soleil en cette saison passe au large du zénith, et ses rayons n'atteignent pas le fond des vallons. L'air embaume les champignons.

Trois chasseurs en treillis militaire mangent du saucisson à une table de bois, ils sont arrivés en haut de la forêt par la piste. En 4x4. Je les salue chaleureusement pour ne pas les haïr, ils ne me proposent pas de casser la graine avec eux. D'ailleurs je suis trop loin déjà, sur le flanc nu de la montagne. Plus on s'élève, plus le monde semble une illusion d'optique. Le col que je croyais à portée se révèle simple replat, il faut grimper encore. Et encore. Enfin, voici... un lac, et la ligne de crête qui à nouveau se dérobe.

Je vois le sentier traçant en biais dans un pierrier, par là le col est à une heure de marche peut-être. Mais si je grimpais tout droit, hors sentier, n'atteindrai-je pas plus vite ce moment magique où s'ouvre à la vue la vallée opposée ? Je manque de temps, souhaitant éviter de redescendre à la nuit. J'y vais. La crête semble à portée de pieds et de mains. La pente est à 50° et mon cœur bat, je dois m'arrêter tous les vingt mètres. J'y vais, mais la crête n'en est toujours pas une. Il faut grimper, continuer. Encore une fausse crête. Il faut continuer.

Faut-il vraiment ? Le jour décline, le temps passe, je m'épuise, la vue est grandiose déjà dans mon dos. L'histoire pourrait être celle d'une dernière ascension sagement avortée, et elle prendrait non moins de sens que si j'accumulais une conquête de plus. Oui mais : je veux voir ce qu'il y a de l'autre côté ! Je le veux. Il le faut. J'y suis presque. J'y suis presque. J'y suis presque. J'y suis. Et tout est justifié. La mer de nuages en contrebas. Le panorama à se dévisser le cou. Les ombres, les couleurs, le souvenir prochain de la neige. La sérénité d'un devoir accompli.

Je regagne, en quittant les sommets à l'oblique, le sentier qui montait au col. Je redescends plus vite que le jour. Les rhododendrons ferrugineux s'illuminent aux ultimes rayons du soleil. La forêt est devenue glaciale. Il fait nuit. Une mouche s'enferme dans la voiture. Elle part avec moi. Je lui parle. Que me dit-elle ? Elle ne comprend pas que le seul endroit par lequel elle ne peut pas s'échapper, c'est l'espace évident du pare-brise. Il lui faudrait retourner dans la caverne. J'ignore ce que je ne comprends pas. Je m'échappe en me croyant libre. Je rentre chez moi. Je fus heureux.
 


mardi 20 août 2024

Contre-temps textuel


Reprendre le fil...
 
J'ai fait une pause de quelques jours.
Je me suis retranché de l'"actualité".

Il y a une mise en attente plus ancienne encore, qui s'est imposée en conséquence du 7 octobre 2023 et de toutes les journées génocidaires qui ont suivi.

Je ne me sentais pas de publier de jolies histoires de vacances en montagne.
J'espérais que l'horreur cesserait sans trop tarder.
Pouvoir retourner à une indécence comparative moins criante.
Il ne me restait plus qu'un billet de blog pour conclure la série entamée.

Mais il est trop tard pour l'espoir.
Cela fait trop longtemps qu'on attend que cesse le massacre des Palestiniens.
Quel soulagement pourront encore ressentir les survivants, dans quel état de désespérance et de deuil seront-ils ?

Durant ma pause estivale, au festival de Chalon, j'ai rencontré des danseurs, des comédiens, des circassiens. De ceux qu'on nomme "intermittents". 

Ils créent de quoi s'enthousiasmer malgré les génocides, le saccage de la planète, le fascisme - car sinon la défaite est totale.

(Par ailleurs ils votent, militent, contribuent très concrètement à améliorer notre société.)

Je crois qu'être heureux et créatif - en dépit d'un monde à pleurer - nous incombe, tant qu'on en a l'énergie. Sinon on dépérit. Je dépéris. Je ne suis plus bon à rien.
 
Aussi je finirai par publier demain le dernier billet de cette série d'en-dehors qui commence à dater. Qui date d'un temps d'avant. Justement, pour aller de l'avant.

Et ensuite on verra.

jeudi 11 juillet 2024

mardi 2 juillet 2024

Rhizomiques #193

Il y a quand même un abrutissement incroyable qui traverse tout le pays. Et qui a commencé à partir du moment où il est devenu possible d’avoir des chaînes de télévision qui ne diffusent qu’un seul point de vue.
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    Sur Internet, elle s’était mise à suivre en secret les sites Web de suprématistes blancs. Des illuminés, qui paraissaient croire sincèrement qu’un attribut aussi trivial que la couleur de leur peau a quelque chose de foncièrement précieux et d’ordonné par Dieu.
    Elinor trouvait cette découverte stupéfiante, et en tirait une certaine forme d’espoir : elle aussi pouvait se réjouir de quelque chose, tirer de la fierté de quelque chose.
    Salut ! Je suis une femme en surpoids quelconque et malheureuse dont le mari est amoureux d’une fille suffisamment jeune pour être notre fille et dont les enfants disparaissent en vitesse au coin de la rue s’ils me voient quelque part en dehors de la maison. Mais JE SUIS BLANCHE – et toc !
    Dans le cyberespace, cette (piteuse) déclaration était prise pour argent comptant. Plusieurs Aryens de sexe masculin avaient écrit à Elinor dans le but de se lier d’amitié avec elle.
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Voilà ce que c’est d’être pauvre : n’avoir aucun pouvoir. Et ceux qui ont le pouvoir apprennent aux pauvres blancs à haïr les pauvres noirs, pour qu’ils se battent entre eux et leur permettent de s’enrichir tranquillement.
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Quand on prend la grossièreté pour la force, la méchanceté pour la politique, on n’est, au fond, qu’un mufle, un crasseux, qui sera un vilain bourgeois bien vulgaire à trente ans. Nous y sommes.
 
Dennis Lehane (entretien dans Télérama du 03/04/24)
& Joyce Carol Oates (in La fille aux longues jambes)
& Dennis Lehane (entretien dans Télérama du 03/04/24)
& Paul Verlaine (extrtait d'une Lettre à Ernest Delahaye)

jeudi 20 juin 2024

Rhizomiques #192

L’erreur qui frappe les théories politiques et économiques de la liberté propres au libéralisme classique [c’est que] les individus y sont pensés comme pourvus d’un équipement de capacités permanentes et préconstituées dont l’opération, lorsqu’elles ne se heurtent pas aux limites que leur imposent des conditions extérieures, constituerait la liberté, une liberté qui résoudrait de façon quasi automatique les problèmes économiques et politiques. (…) On a supposé, en accord avec toute la théorie du libéralisme, que la seule chose qui permette de garantir la liberté de pensée et d’expression réside dans l’élimination des entraves extérieures ; repoussez les obstructions artificielles et la pensée opérera. Cette idée renferme toutes les erreurs de la psychologie individualiste. La pensée y est considérée comme une capacité ou une faculté innée ; la seule chose qu’elle réclame pour opérer relève de la chance extérieure. [Mais] le problème le plus important pour la liberté de pensée est celui de savoir si les conditions sociales font obstacle au développement du jugement et de la compréhension ou si elles l’encouragent effectivement.
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(…) ses parents eux-mêmes étaient restés si accolés à leur environnement social qu’ils n’en étaient jamais sortis, n’avaient pas su s’affranchir de leurs préjugés et s’étaient peu à peu rigidifiés pour finir par répandre des jugements derniers sans plus faire marcher leur esprit et encore moins leur sensibilité alors qu’on le savait, ils en avaient eu une. Le père s’était mis à donner de ces formulations toutes faites libres de droits parce que c’était sans doute assez commode et ne demandait pas d’effort intellectuel supplémentaire car des efforts il en faisait déjà beaucoup et c’était bien assez rappelait-il en rentrant éreinté le soir.
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C'est tellement triste, me dit son fils. Si elle ne regardait jamais la télévision, je sais qu'elle ne serait jamais devenue ainsi. Et je suis si furieux. Elle pourrait passer ses dernières années dans une paix et un confort relatifs, dans la gratitude de ce qu'elle a. Au lieu de cela, elle est dans un état de perpétuelle amertume et de rancœur contre tous ces ennemis qu'on lui désigne comme effrayants, prêts à se jeter sur elle.
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On peut être une chose et son contraire. On peut être innocente et coupable. C'est écrit en toutes lettres dans chacun des chapitres de la tragédie qu'est votre civilisation, Andrea, c'est toujours une majorité de coupables innocent.e.s qui participent à l'élaboration des structures qui les asservissent. 
 
John Dewey (cité par Bernard Quiriny in Le club des libéraux)
& Valérie Mréjen (in La jeune artiste)
& Sigrid Nunez (in Quel est donc ton tourment ?)
& Chris Bergeron (in Vandales)

mercredi 12 juin 2024

Vivaces #47 bis

Le monde est une huître.
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Ce monde n’est pas conclusion
Il existe un au-delà
Invisible, comme la musique
Mais réel, comme le son
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Si vous traversez l’enfer, surtout continuez d’avancer. 
 
Arthur Miller (in Mort d’un commis voyageur)
& Emily Dickinson
& Winston Churchill