vendredi 3 août 2018

3 août

L’horrible mauvaise conscience. Le monstre sentiment de culpabilité. Elle apparaît parfois dans le miroir, la tête qu’on fait. Dis-moi qui est le plus laid ? Facile ! Toujours le même ! La panique n’est pas loin, ou la sidération. « Qu’en penses-tu ? » suggère « Que proposes-tu ? » La question sonne douce aux oreilles si l’on s’autorise à y répondre, la question est autre : « Comment te sens-tu ? » Quoi qu’on fasse on ferait mal, quoi qu’on dise, autant se taire. Retour au temps zéro, interagir au minimum, prendre le moins de place possible, éviter de vouloir, ne pas ressentir. Binh-Dû souffrait alors en silence. Mais qui sait ce qui tue, et de quels abandons la vie se dépêtre ? Qui peut prétendre déclencher la foudre ? Au-dehors tape la canicule, et la crainte de manquer d’eau. Toute une frilosité focalisée sur le confort d’une douche nocturne. À rester climatisé immobile en attendant que ça passe. Encore un jour, dispensez-moi de vivre, je ne veux pas rejoindre les coureurs du dehors ! supplie l’insensé en s’accrochant au mobilier de l’asile. L’impératif redonde : quitter la plaine. Chercher de l’air loin au-dessus des fleuves.

jeudi 2 août 2018

2 août

Ce à quoi Binh-Dû aspire fait peur à celui avec qui Binh-Dû se confond. C’est une affaire interne, de lui à lui. Une extension de l’illusion autosuffisante. Il redoute cet engagement-là, cette responsabilité – d’être celui qui est aimé. Celui qui aime avec espoir de retour. Il sait qu’il ne devrait pas s’en faire, nous vivons nos vies de personnages de fiction, professe-t-il à l’envi. Les sentiers montent vers le plateau, puis ramènent au village en même temps que s’étend le crépuscule. À l’ouest les nuages rosissent, et les sables du Sahara traversent les océans. Chaque inspiration contient l’élan d’un baiser.

Hier à la même heure la masseuse se tient debout face au corps en caleçons, ferme un œil, se recule d’un pas, dit « En effet », puis s’approche afin d’en replacer les volumes. Demain elle prend des notes, ranime le souvenir d’un lointain accident de vélo contre un chariot de la criée. Sur la hanche, un petit bout de chair en moins, les thons restaient figés, l’œil glacé, la bouche ouverte. Au minimum on s’assiérait sur les rochers, attentif aux éclaboussures. Au maximum on rejoindrait le flot dans une frayée oblique. Celui avec qui Binh-Dû se confond n’est pas convaincu d’avoir peur. Il respire avec son abdomen.

mercredi 1 août 2018

1er août

D’où as-tu vu que les haricots virent de couleur ? Ils pendent plus longs d’un jour sur l’autre au bout de leur tige, poussant à l’écossage par kilos, renfermant dans leur cosse l’eau pulpée déversée des arrosoirs. Que sais-tu des âmes papillonnantes ? Certes leur blancheur ressort sur les bosquets à la tombée de la nuit, mais leur nom savant est pyrales du buis et elles sont ravageuses à l’état de chenilles. Binh-Dû s’en remet aux mains de la masseuse. Il s’en remet totalement à cet être humain qui voit en lui un corps pourvu d’intelligence. Elle malaxe jusqu’aux membranes enveloppant ses muscles, jusqu’aux nerfs, jusqu’aux os. Il inspire à la demande, suivant le mouvement, il souffle un abandon reconnaissant. Là, pas question d’expirer, ni d’obtempérer. Les réponses qui se font attendre peuvent attendre encore un peu dans l’espace limbique de la toile. Il y a de l’avenir. Il y a des couleurs qui se succèdent sous les paupières fermées, et même des exercices à faire. Contrairement aux buis les figuiers ne semblent pas affectés, occupés à métaboliser du sucre. À défaut, on disputera les mûres aux punaises. Et les amis nous gardent dans leur cœur.

mardi 31 juillet 2018

31 juillet

                     Il s’agirait d’être intelligent autant que non-violent. De se mordre le « tu » dans la bouche, au premier tour de langue, de garder sa science par devers, comme une masure nichée sur l’ubac. Ou mieux, de parvenir à la transférer sur les terres du « je », à la lumière. Dans un tunnel végétal, les papillons blancs s’égaillent.
                     Vieilles âmes fragiles, leur message incite ou met en garde, comment savoir ? Plus haut dans les collines toute une maisonnée fait vibrer les enceintes d’une musique auto-tunée. Effet de la ligne à haute tension qui passe juste au-dessus et détraque le métabolisme des vaches et des cochons ? Ces hommes soulèvent la poussière des pistes carrossables.
                     Toujours fuir. On annonce trente-huit degrés pour le surlendemain et le jour d’après. Rien ne servira d’être intelligent, si ce n’est pour garantir sa survie. Grenouille dans sa casserole, être violent se révélera plus que jamais un dérisoire acte de révolte. Les tomates grilleront sur plant. Les haricots vireront au violet.

lundi 30 juillet 2018

30 juillet

           La douleur réveille, la culpabilisation écrase, la peur tasse. Débrouille-toi avec ça. Débrouillez-vous, frères humains. Dans un repli de vallons mortifiés de chaleur, où la végétation a depuis longtemps changé sa sève en huile, où les buis prématurément roussis annoncent la tabula rasa d’un prochain raz-de-marée nucléaire, subsistent les vestiges d’un chemin monacal. Ils déambulaient aux quatre coins d’un cloître écroulé, comme marchant sur l’eau. Aujourd’hui dans les communs on dresse des assiettes pour touristes en bermudas, l’araignée est ce morceau du porc situé près de l’aine, explique la serveuse tatouée en désignant son propre sexe. Mauvais coucheur ! Ingrat !
           Le sang demeure un argument. Nous serions si seuls dans l’univers, face à notre mort, face à la vie aussi. Le sang et ses affluents. Toutes ces attentions que nous déployons pour nos proches et dont sera exclu le cochon. La gratitude générée. Oui, il y avait là une cellule, un tissu conjonctif de loyautés, de preuves et de souvenirs, à délimiter son chemin de prière, à laisser éclore l’amour plutôt que le dédain. À remercier. Il fait grand jour encore tandis que bascule le soleil. Tout va bien. Le sang ne nous est pas sorti des oreilles par osmose, appelé par des trente-sept degrés à l’ombre. La nuit progresse pourtant, redoublant l’obscurité des bois. Tout ira bien.

dimanche 29 juillet 2018

29 juillet

Il fait chaud à ne plus le tolérer, quitter ces contrées, ne pas attendre ici que les courbes statistiques atteignent la température intérieure du corps humain. Un jour, on arriverait au bord du monde et alors il ne resterait plus qu’à sauter en espérant atterrir sur une planète intacte. En attendant on reste, et les après-midis on dépose sur l’oreiller un peu de bave paradoxale. Mais aucune trace de rêve n’imprime le creux de l’oreiller. Sont-ils partis devant, avant même le sommeil ? Le corps est égoïste et neutre alors qu’on s’en extrait (du corps, s’entend), n’importe qui ferait l’affaire ou presque, même l’idée d’une personne un peu connue ou largement inconnue. Tout de même, rêver est d’un autre niveau ! Avec l’apparition des étoiles, la chaleur s’atténue, deux ombres compactes traversent le chemin. C’est donc qu’il se trouve toujours des tubercules à exhumer d’un hochement du groin. Binh-Dû s’accorde un temps d’immobilité prudente, craquetant telle une macrocigale de l’espace, avant de suivre la flèche fuyante allumée dans le ciel, en direction du clocher du village où sonne l’heure, imperturbablement.

samedi 28 juillet 2018

28 juillet


Voler à quelques centimètres au-dessus du sol est un gage de vulnérabilité, félicite-t-on Binh-Dû. point n'est besoin d'être un aigle surplombant les pics enneigés.
 
Les parfums restent cantonnés à l’extérieur des rêves, seul le sentiment s’en infléchit. Ne plus toucher terre est un cauchemar potentiel, un reproche, un vertige inquiétant.

Et si nous avions le choix, vanterions-nous toujours les vertus vulnérables ? Nous avons le choix et nous tuons des animaux. Nous avons le choix et nous dédaignons le flamboiement des nuages attestant du mouvement cosmique. 

Sur la langue persiste le goût des mûres, même après qu'ont été sucées jusqu'à l'endocarpe leurs drupéoles. L'ivresse du fruit tend à la course, bras déployés, en prise d'élan.

Les sangliers ont migré vers d’autres collines, au milieu des vignes le portable émet et reçoit des ondes inaudibles. Binh-Dû est incapable de voir ce qui se passe hors de son champ vibratoire.