mercredi 3 octobre 2018

3 octobre


Si le premier mot désigne celui qui parle, ce n’est pas seulement faute de goût, manque de délicatesse, passion de soi-même... C’est aussi un contresens. Binh-Dû est bien placé pour raisonner ainsi, lui qui se décrirait comme flottant dans des vêtements trop amples qui ne lui appartiennent pas. Mais à l’aise, il se pose un peu là.
Si le deuxième mot désigne une action, alors Binh-Dû commence à rire dans sa barbe. (Sa barbe ne lui appartient pas non plus mais il en est très satisfait, ne serait-ce que pour tirer sur son menton.) Il apprécie qu’on lui raconte des histoires peuplées de personnages allant d’un point à un autre tout en tournant sur eux-mêmes, à l’instar des planètes.
Le troisième mot est dépourvu d’humour intrinsèque – sauf si le deuxième mot désigne un état. C’est le point de bifurcation pour Binh-Dû, soit il retourne à son sourire de base, soit il rigole franchement. Sa bonne nature est parfois agaçante, ses interlocuteurs ont l’impression de parler dans le vide. Ils insistent un peu, puis, de guerre lasse, s’en vont chercher ailleurs.

mardi 2 octobre 2018

2 octobre

Ne sortez pas de chez vous à midi si c’est pour revenir avec une baguette de pain dans un sachet transparent. Surtout si vous portez des lunettes et si vous êtes vêtus d’un blouson étriqué. À la fin du repas vous vous sentirez ballonné, vous aurez envie de vous allonger un moment, Binh-Dû sera profondément peiné.
Tout en dormant il retire avec deux incisives une tige organique enfoncée dans son doigt. À mi-parcours cela résiste, il doit insister, la plaie s’écarte davantage. Enfin elle peut se refermer, il s’en trouve soulagé comme après un accouchement. Au milieu du corps étranger la poche de venin ne s’est pas rompue.
La pluie n’était pas non plus attendue et pourtant elle fouette les épidermes. Tout devient plus petit depuis un tricycle Oui-Oui – quand je serai grand j’aurai la voiture avec le klaxon qui fait pouêt. C’est le destin des mondes que de flotter, mieux vaut s’y habituer très tôt, vous aurez l’œil plus vif et vous pleurerez moins.

lundi 1 octobre 2018

1er octobre


On reniflera nos culs dans la cage. On ne prêtera pas attention aux fusées qui éclatent dans le ciel avant la nuit, on déclinera l’offre de l’ours en peluche. On se jettera sur le bitume et on se relèvera avec sur nos pantalons la marque du crachin. Les gens autour imagineront des tatouages bleus sur nos cuisses et nos jambes et se demanderont jusqu’à quand la Terre nous portera. Ils renoueront leurs lacets en prévision d’une course échevelée. Une cohorte de bras prendra son envol en direction des océans. La peau frissonnera d’amour plutôt que de froid. Les mots seront balbutiés de sorte qu'on ne dise jamais une seule chose à la fois mais bien deux ou trois, pour le moins. Oui, sous la pluie nous pousserons des cris d’animaux et les humains raisonneurs se retrouveront du mauvais côté des barreaux. On se racontera des mensonges immémoriaux qui nous feront plaisir. On évitera les bacs à sable que les enfants eux-mêmes dédaignent. On se déplacera en glissant sous la lune, affranchis de toute mauvaise conscience. Le temps cliquettera sa bonne heure. Il se fera tard. On aura appris de nos erreurs. Au bout du décompte on exultera.

dimanche 30 septembre 2018

30 septembre


Une "belle personne", une "chance", un "trésor"... Ainsi décrit-on Binh-Dû, au mieux, et ce ne sont que des mots fallacieux pour le sceptique. Souvent il se voit telle une piteuse allégorie de la misère, de la damnation et de l’inconsistance. Il ferait mieux de relever son visage penché sur les eaux troubles et de simplement remercier.
L’amour aussi pourrait être un enchantement. Comme de humer un parfum suave ou de déguster un fruit, poser la main sur le tronc d’un arbre, écouter le chant de l’oiseau, contempler les nuages. Ce catalogue élémentaire à destination des enfants, l’augmenter de la sensualité éprouvée à se reconnaître dans l’autre.
L’autre est celle que l’on trouve si belle que sa sincérité devient la nôtre. Du point de vue de Binh-Dû, renversé. Et l’amour est une loi de gratitude, qui ne laisse personne hors de son champ, pourvu qu’une réceptivité au moins persiste. Regarde ! Écoute ! Serais-tu aveugle ou sourd, on se débrouillera quand même.

samedi 29 septembre 2018

29 septembre

En automne les moustiques vrombissent au ralenti. Ou Binh-Dû est-il plus vif, son sang plus agile, entre deux rêves, pour qu’il parvienne à capturer l’intrus à l’aveuglette dans les replis de la couette ? Ensuite il roule sur lui-même comme au bas d’une tranchée pour écraser l’ennemi et répandre le pur et l’impur sur le drap du dessous.
Je subis un bombardement incessant d’idées, décrit l’amie de qui émane un rayonnement plus intense que celui du phosphore – et plus pacifique. Les soldats américains sont morts à proportion d’un pour trente-cinq Vietnamiens, et il faudrait encore distinguer les corps dans la mort ? Cette jeune femme est un miracle en soi.
Les temporalités tendent à se rejoindre ou à s’écarter, jamais à se maintenir. Même si le nombre de jours qui séparent une naissance d’une autre reste fixe au long de deux vies, il y entre une part d’inexplicable illusion. Un brouillage d’optique. Binh-Dû rêve de sa marraine, d’une amie de sa sœur aînée et d’une amante, un hélicoptère le réveille.

vendredi 28 septembre 2018

28 septembre

Dans la rame du métro, plus personne ne bouge de son propre chef. En revanche ça dodeline suivant les à-coups. Qu’est-ce que ça branle. (Question ? Affirmation !) La moitié des nuques penchées vers le giron où des doigts s’activent. Vibrations, flashs, images à agrandir, sons à se ficher dans le conduit auriculaire... À chacun son trip tubulaire. Chacun son martèlement volontaire – car des coups sont portés, les corps en portent la trace.
Ceux qui ne consultent pas leur prothèse ne paraissent pas vraiment en meilleure condition. Une femme au chignon amortisseur fait de mauvais rêves contre le vitrage. Un Africain épuisé contemple ses chaussures de sécurité. D’autres inspectent sans plus d’illusion leur reflet ou se carbonisent les doigts sur les pages d’un journal rempli d’assassinats, de catastrophes diverses et de bourrage de crâne.
Car quand cela ne cogne pas, cela s’insinue quand même. Les deux adolescentes en face de Binh-Dû s’aiment d’une amitié peut-être plus profonde que ne le seront jamais leurs futures vies de couple – où elles se perdront de vue. Binh-Dû lui-même assiste à l’élévation de son seuil d’intolérance. Bientôt il sera parfaitement convenu d’exister sans la réalité du ciel et des arbres. On jettera la clef et on se laissera glisser.

jeudi 27 septembre 2018

27 septembre


Binh-Dû marche si vite qu’il lui semble n’être pas du même temps que les autres habitants de son quartier. D’où sortent ces gens assis sur des bancs ? Ou qui attendent l’autobus ? Ou qui se disent des choses de part et d’autre d’une poussette ? Les enfants tout juste en âge de courir sont davantage du temps de Binh-Dû, il s’agit de les éviter.
Avec les plus vieux ou les plus petits ce n’est pas drôle. Trop facile. Les enfants tout juste en âge de courir courent souvent après un ballon et ils ne sont pas adroits de leurs pieds, ce qui permet à Binh-Dû de renvoyer la balle. Comme un adulte bienveillant. Il se souvient des heures glorieuses où il faisait des passes décisives, il était déjà plus âgé qu’eux.
Il marquait des buts aussi. Une fille au téléphone présente un profil kaki, c’est l’éclairage indirect du panneau publicitaire. Ou la vitesse qui distord le spectre. Au supermarché les armoires vrombissent. Binh-Dû jette l’appoint dans la bouche d’une caisse automatique, il doit recommencer l’opération car l’ordinateur est frustré de n’avoir pu lui indiquer la procédure.