mardi 1 janvier 2019

1er janvier

                Non, sérieusement, même pas en rêve ! Youhou, c’est l’heure des résolutions pleines d’espérance ! On y croit, on n’a que ça... Mais oui, efface cette triste mine de ton visage, viens danser, viens boire, viens m’embrasser ! D’accord, mais attention, aïe, ici ça me fait mal... Allez, bouge-toi, c’est la fête, youhou ! Attends, je voulais te dire, j’ai eu des nouvelles de la fille, tu sais, qui regardait dans le vague, assise sur un canapé, dans sa main un verre en plastique à moitié rempli de bière menaçant de se renverser... Je ne t’entends pas, youhou, yeah !
                Ne m’ôtez pas la douleur du désir, psalmodie un homme en robe de chambre derrière la porte vitrée, sa bouche forme de petits nuages de buée. Binh-Dû, qui s’est couché tôt au regard de ses habitudes, médite là-dessus, est-ce que le désir est une attente ? Ou n’est-ce pas plutôt une suspension ? La notion de suspension lui paraît plus proche du plaisir, d’ailleurs le fou ne fume pas malgré le cendrier sur pied disposé à cet effet. Le désir est une promesse, décide finalement Binh-Dû, et il retourne regarder la télévision, au cas où il reconnaîtrait quelqu’un.

lundi 31 décembre 2018

31 décembre

Cette année, Binh-Dû s’applique à réfuter d’avance l’hypothèse, au terme du compte à rebours, de la fin du monde. On verra demain si l’Histoire lui a donné raison. Mais ces vieilles craintes, vraiment... Il n’a plus six ans ! Les pots de yoghourt n’explosent pas dans le frigidaire quand minuit sonne le passage – de la date limite à une innommable durée. Pourtant, il semblerait que son lecteur de CD ait soudain cessé de fonctionner, au franchissement de cap devra-t-il n’entendre que cris d’apocalypse défiée et pétards exaspérés ? A-t-il tout de même intérêt à finir le gâteau ?
Mais jusqu’où reprogrammer l’obsolescence ? S’il reste des historiens dans les époques futures, ils écriront des thèses condescendantes à ce propos. Binh-Dû se souvient parfaitement de son premier pyjama, dont il mâchouillait les manches, et de son pressentiment des ruines. Tous les quarts d’heure, paraît-il, un éléphant tombe sous les balles d’un braconnier, le temps de sa gestation un éléphanteau pourrait déplorer l’assassinat de cinquante mille des siens. Dans la savane soudain l’assassin doute, sa botte sur un girafon : soit épargner les autres... soit retourner l’arme contre lui.

dimanche 30 décembre 2018

30 décembre


Il n’y en a plus pour longtemps maintenant, affirme la secrétaire, et les patients hésitent entre soulagement et inquiétude. Chacun dans sa bulle problématique. Au-dehors les voitures se garent sur le parking à mesure que d’autres laissent la place. Comme une survivance d’un monde ancien qu’on ne regrettera pas, dans le futur on pourra passer toute sa vie dans son module polystationnaire, le canapé sera compris dans le forfait générationnel, et le fauteuil connecté évolutif à mémoire de forme sera un bien inaliénable sauf déchéance de niveau 5. Le premier arrivé retient une terrible envie de faire pipi, il se lève d’un coup lorsque la porte s’ouvre. Ce n’est pas l’arthrite qui l’amène ici, déduit Binh-Dû, sans en induire un éventuel souci de vessie. Lui se demande s’il ne va pas plutôt rentrer dans son cube, quitte à perdre le bénéfice attendu de l’attente. Car au fond, désire-t-il n’en avoir plus pour longtemps ? Même si le monde ancien ne remonte pas assez loin, il semble préférable. On courait dans les flaques. On avait faim. On grimpait sur un talus pour se donner le sentiment de dominer l’avenir. Une fois, Binh-Dû, confus, avait dû s’excuser pour avoir grignoté une serviette-éponge. En tout état de cause il aimait davantage le chocolat.

samedi 29 décembre 2018

29 décembre


Sa peau rougit contre le mur chaulé, Binh-Dû n’a pas choisi le bon côté de la rue pour s’asseoir. En face il y a de l’ombre, Viens nous rejoindre, l’invite-t-on. Sauf que le soleil tourne, d’ici peu les situations s’inverseront. Y a-t-il quelque chose à décider encore ou, comme sur le pont d’un bateau soumis au roulis, suffirait-il de s’accrocher ? Vaut-il mieux rester seul ? Le soleil tourne tellement qu’il vire à la pluie. La tempête se détruit d’elle-même, brisant les vagues. Sur l’île, les arbres ploient et se rengorgent, il faut l’imaginer car l’accès est interdit : risque de chutes. Binh-Dû en est réduit à longer la rive, un gros oreiller sous chaque bras l’aiderait le cas échéant à flotter. Encore faudrait-il qu’il interprète correctement le code couleurs, rose pour les femmes qui se couchent sur le côté, bleu pour les hommes qui dorment à plat. Le choix qu’on lui laisse consisterait à brasser en rond dans le sens du temps ou à rebours, c’est maigre. Le choix laissé aux destinataires d’une lettre est de ne pas répondre, se racontent-ils. Ils n’iront pas bien loin comme cela, ou ils iront sans Binh-Dû qui a toujours son problème de dos à régler.

vendredi 28 décembre 2018

28 décembre


Et puis ils crèvent, mais ceci est l’histoire du jour suivant. Le jour d’avant tient ses deux anses en cercle, tels des bras invitant à la danse. Tous les jours font cela, pourvu qu’on les ordonne en frise. L’amie dans sa boutique aux couleurs de l’été remplit sans le moindre remord un petit agenda de l’année 1935. La reliure de cuir est coordonnée avec les murs de toile, sans doute conviendrait-elle tout aussi bien à l’atmosphère éraillée d’un bistrot montmartrois après potron-minet. Pas un chat dans la boutique, juste Binh-Dû et son amie, et des éléphants-totottes.
Au fond de l’autocar, des enfants piaillent comme une nichée d’oiseaux dans un buisson. Ceci est une histoire dont l’avant et l’après sont inconnus de tous. Il en est des mille et des cents, c’est le motif floral de l’invention des mondes. Parfois tout s’arrange pour le mieux, le colis est de l’exacte dimension de la boîte aux lettres, Noël fête un quatre-vingt-deuxième hiver, les chocolats sont bien calés dans le plumier. Binh-Dû est aussi le fils d’une femme qui écrit, les chiens ne font pas des chats, et qui s’étonne de ce que, une chose en entraînant une autre, on lui en sache gré.

jeudi 27 décembre 2018

27 décembre


Binh-Dû sort sur la terrasse, par la porte réservée aux employés. Il a laissé son caddie à l’intérieur, le vent souffle en bourrasques pluvieuses. Personne ne fume, il fait le tour, personne n’est là. Il voudrait retourner à l’intérieur mais il ne retrouve pas la porte. S’il était sorti avec ses courses, peut-être un vigile aurait-il pu l'assister, depuis une caméra de surveillance.
Dans nos sociétés civilisées l’enjeu sous-jacent est toujours de modérer ses pulsions de violence, garder sous clef le désir de tuer. Tant il ne sert à rien d’insulter ceux qui se sont égarés. Binh-Dû est de ceux-là, à l’occasion. Il fourbit ses arguments, l’intention n’est pas d’exprimer la colère en soi conçue mais d’infléchir, de croire à l’influence de la bienveillance.
Il ricane, il aiguise ses incisives, il grince de froid. Il réclame son dû bien qu’il sache que rien de tel n’existe au regard des hasards qui prévalent. Il plaide l’amour pour un supplément de sens, il invoque le besoin, celui de son âme, celui de l’âme rêvée. Il soutient qu’il ne rêve pas autant qu’on le lui reproche ; au ciel les nuages chargés ont toute l’apparence de la réalité.