Binh-Dû sort sur la terrasse, par la porte réservée aux employés. Il a
laissé son caddie à l’intérieur, le vent souffle en bourrasques pluvieuses. Personne
ne fume, il fait le tour, personne n’est là. Il voudrait retourner à l’intérieur
mais il ne retrouve pas la porte. S’il était sorti avec ses courses, peut-être
un vigile aurait-il pu l'assister, depuis une caméra de surveillance.
Dans nos sociétés civilisées l’enjeu sous-jacent est toujours de modérer
ses pulsions de violence, garder sous clef le désir de tuer. Tant il ne sert à
rien d’insulter ceux qui se sont égarés. Binh-Dû est de ceux-là, à l’occasion.
Il fourbit ses arguments, l’intention n’est pas d’exprimer la colère en soi
conçue mais d’infléchir, de croire à l’influence de la bienveillance.
Il ricane, il aiguise ses incisives, il grince de froid. Il réclame son
dû bien qu’il sache que rien de tel n’existe au regard des hasards qui
prévalent. Il plaide l’amour pour un supplément de sens, il invoque le besoin,
celui de son âme, celui de l’âme rêvée. Il soutient qu’il ne rêve pas autant
qu’on le lui reproche ; au ciel les nuages chargés ont toute l’apparence
de la réalité.