Il est encore dans la forêt – le temps qu’il y passe, c’est
fou ! En même temps, il survole. Les loups en-dessous de lui lèvent leur
tête grimaçante, ce ne sont même pas des chiens. Ils sont les évadés de la
matrice. Lui se tâte, l’avantage quand on plane c’est qu’on peut aussi
atteindre des parties de soi qui sont oblitérées le reste du temps par des
points de contact. En un sens, planer c’est être plus que nu. Et davantage bébé
qu’un bébé. De là-haut il voit des choses qui ne se soupçonnent qu’à peine
ici-bas. Son point de vue unique mériterait un peu plus de confiance de sa part, et de la
gratitude aussi. Au lieu de ces grimaces. Quand il était en ville, il allait se
planter face aux caméras de surveillance – trafic, incivilités,
circuits de consommation – pour narguer les opérateurs fantômes. À l’occasion
il trifouillait dans les fils et provoquait des disjonctions. Puisque le silence était
soumis par la rumeur incessante des moteurs, il parlait de fantôme à
fantôme en ouvrant exagérément la
bouche, muettement. Il proférait des sons imaginaires, sans queue ni tête, ah
il s’amusait bien. Non, il ne s’amusait pas du tout. Il résistait comme il
pouvait. Comme on s’évertue à coincer les pales des géants, là, juste à la
faiblesse de l’armure. Plutôt s’élever plus haut et se moucher dans un nuage.
vendredi 11 janvier 2019
jeudi 10 janvier 2019
10 janvier
Ils entrent en
ribambelle par la fenêtre, une flopée d’enfants. Des bébés, des marmots, sur
les genoux ou sur deux pieds, accompagnés chacun d’un parent qui s’excuse, on ne fait que passer ! Ils
traversent la pièce à vivre, ils vont
dans la salle de bains, ça n’en finit pas, comme dans le gag éculé de la
voiture où prennent place une noria de passagers. Cela cesse tout de même, le
dernier bambin se relève sur le parquet devant la fenêtre et court
maladroitement rattraper l’avant-dernier. Binh-Dû jette un œil à leur suite.
Personne ; la lucarne au-dessus de la baignoire est ouverte.
Tu es trop manichéen, lui a-t-on
reproché, alors il fait des efforts en sens inverse. Le bien, le mal, après
tout, ce sont des notions surfaites. Non ? Quelque chose le chiffonne, à
se retenir de juger il finit par trouver que ses mains véhiculent une insistante odeur de savon. Et puis il a toujours de ces envies de démolir untel ou
unetelle qui, franchement, le mériteraient bien. Un jour soudain se produira peut-être
une sorte de miracle, au début il pensera être en train de mourir, sa chair
corrompue sur l’os, puis il découvrira qu’ainsi les agrafes oubliées sont plus
faciles à ôter.
mercredi 9 janvier 2019
9 janvier
Nous
sommes ce dont nous sommes faits. La matérialité fouette Binh-Dû. Qu’est-ce
que c’est que ces conneries ? Va-t-on repartir pour une nuit d’insomnie,
et ces fadaises de « sacralisation de l’écrit », elles viennent
d’où ? Le mot, le son, le sens. L’incarnation des idées. La transmission
vectorielle des vibrations, la rencontre des tellurismes. Papillon, tu es fait
de poudre.
Si l’on ne le
comprend pas toujours, c’est que Binh-Dû n’a pas suffisamment asséché la
question. Il a tourné autour, laissant les empreintes de ses grosses pattes
dans la vase, il a tâté la température, relevant la tête il a humé une odeur
insolite et il s’est carapaté on ne sait où, pfuitt, disparu... L’escampette à
l’assaut du hors-champ.
Dans son dos on
pourrait enfouir la tête comme dans un oreiller. (Oui, car le quotidien de
Binh-Dû est tout de même très éloigné de la savane.) On la remuerait tel un
chat insatisfait. Alors quelque chose se produirait qui échapperait au
positivisme, soudain les pensées perdraient leurs corps d’attache. Perlimpimpin ! lancerait un merle
sur la branche.
mardi 8 janvier 2019
8 janvier
Binh-Dû sent son
psoas à la ramasse. Est-ce une raison pour tomber plus bas ? Bien sûr que
non. Les gens disent n’importe quoi,
assène l’un d’eux, il est difficile de lui donner tort. D’autres évitent cette
sorte de considération, ils font mieux. Ils construisent une œuvre. Ils se
taisent. Ils choisissent avec attention leurs évidences. Ils se rendent
aimables. Ils aiment.
Au bal, les
chaises ne sont pas pour les chiens. On y va s’asseoir et se masser les reins.
On y va se pencher vers celle qui se penche aussi, de l’autre côté de la petite
table ronde de jardin. On y converse plaisamment, en fond sonore se débitent
des histoires dramatiques qui trémulent et accordéonisent depuis un siècle ou
davantage. C’est joli.
Les pigeons
cherchent des miettes, les chats les laissent tranquilles. Ou sont-ils fatigués
de toute cette agitation ? L’un d’entre eux – un pigeon – gratte le sol de
sa patte fantôme. Ses griffes sont encore accrochées à la grille d’un arbre,
non loin de là. S’il avait voulu, Binh-Dû aurait pu dégager à la souffleuse les
allées d’un parc municipal où tournent en vain les exilés.
lundi 7 janvier 2019
7 janvier
L’insomnie plaque le corps au centre du lit comme on épingle un
papillon. Mais Binh-Dû n’en est pas victime, il peut encore se demander quoi
choisir. Rester étendu sur le dos et sombrer peu à peu dans l’oubli, ou se redresser
pour collecter quelques clefs. Quand il dort, un même dilemme souvent tire sur
sa peau, souviens-toi ! Souviens-toi
des étonnements accordés, ou meurs. La mort en ce qui le concerne est
encore un sommeil dont on se réveille nauséeux. Une obsession de petit matin ou
de nuit précoce. L’enseigne aux grosses lunettes clignote tandis qu’il traverse
la chaussée de biais, il titube. Il n’a pas bu pourtant, il n’a rien avalé. Il
en a gros sur la patate. Sur la langue un cheveu baveux se révèle quand il le
porte à ses yeux l’aile d’une fine mouche. Dieu merci, il n’en est pas arrivé
au point d’entendre des voix. Les voix qu’il voudrait entendre se taisent, au
mieux c’est un chien qui jappe. Les voix qu’il voudrait entendre, il voudrait
les toucher comme on goûte un fruit mûr. Tel est le principe de l’impatience à
contretemps, se dit-il, en rallumant la lumière tant son analogie est
brillante. Le silence est une capillarité épaisse, et l’immobilité paraît
indiscrète, un corps peut n’être plus qu’un meuble parmi les meubles, chargé de
sa patine, dépourvu de prétention. Binh-Dû, du bout des doigts, caresse
doucement le sien visage qui lui sourit.
dimanche 6 janvier 2019
6 janvier
Un chien jaillit
du bois, Binh-Dû l’accueille avec joie. C’est le plus intelligent des chiens,
cela se voit à sa façon de lever la tête. Il serait même capable de jouer au
volley-ball. Pendant ce temps, des messieurs dans leur club anglais sacrifient
au rituel consistant à trinquer au son d’onomatopées guerrières, pan, boum,
aïe. Plus débile, on a du mal à trouver. Sur les lattes du store électrique,
deux escargots anémiés se sont installés pour mourir. Il fait trop jour pour
descendre et pas assez pour s’exposer aux regards, l’entre-deux se cherche.
On est ce qu’on accepte d’être, affirme
celui qui n’a pas encore trouvé comment vivre. Et on ne comprend rien à ce
qu’il suggère, espoir ou fatalité ? Qu’ai-je donc accepté d’être, se
demande Binh-Dû, mais aussi : que pourrais-je accepter ? Qu’ai-je
refusé d’être jusqu’à présent ? Qu’ai-je cru refuser alors que je
l’acceptais, et que refusé-je à mon insu ? Il se gratte le cuir chevelu
comme s’il portait une longue perruque mêlée de plumes violettes et que tous
ses pores suintaient l’héroïne. Pour sûr, il se prend pour quelqu’un d’autre.
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