L’insomnie plaque le corps au centre du lit comme on épingle un
papillon. Mais Binh-Dû n’en est pas victime, il peut encore se demander quoi
choisir. Rester étendu sur le dos et sombrer peu à peu dans l’oubli, ou se redresser
pour collecter quelques clefs. Quand il dort, un même dilemme souvent tire sur
sa peau, souviens-toi ! Souviens-toi
des étonnements accordés, ou meurs. La mort en ce qui le concerne est
encore un sommeil dont on se réveille nauséeux. Une obsession de petit matin ou
de nuit précoce. L’enseigne aux grosses lunettes clignote tandis qu’il traverse
la chaussée de biais, il titube. Il n’a pas bu pourtant, il n’a rien avalé. Il
en a gros sur la patate. Sur la langue un cheveu baveux se révèle quand il le
porte à ses yeux l’aile d’une fine mouche. Dieu merci, il n’en est pas arrivé
au point d’entendre des voix. Les voix qu’il voudrait entendre se taisent, au
mieux c’est un chien qui jappe. Les voix qu’il voudrait entendre, il voudrait
les toucher comme on goûte un fruit mûr. Tel est le principe de l’impatience à
contretemps, se dit-il, en rallumant la lumière tant son analogie est
brillante. Le silence est une capillarité épaisse, et l’immobilité paraît
indiscrète, un corps peut n’être plus qu’un meuble parmi les meubles, chargé de
sa patine, dépourvu de prétention. Binh-Dû, du bout des doigts, caresse
doucement le sien visage qui lui sourit.