jeudi 24 janvier 2019

24 janvier


                Binh-Dû aimerait rire définitivement. Non pas à en mourir, ce qui serait le comble du rire désespéré. Non pas pour vivre éternellement, ce qui serait dément. Mais comme une nouvelle habitude, comme un serment de mariage, comme une résolution mathématique. Comme on fait son lit on se couche. Comme on ouvre sa fenêtre à la mouche. Comme on orthosympathise avec son système. Comme on quitte le sol une demi-seconde, puis une demi-seconde encore, puis une autre demi-seconde. Comme on suspend la tragédie sur un fil avec une pince à linge.
                Mais une chose est de poétiser ce qui nous cultive, une autre de poétiser ce qu’on fait. Une autre encore de sympathiser, dans l’action, dans la sensation ou dans le sentiment. Binh-Dû parfois s’étire ainsi que se cabre un cheval rendu fou par le mors fiché dans ses gencives. Les morts aussi semblent rire, de toutes les dents qu’il leur reste. Une loi peu utile veut que se dessine à la longue ce pour quoi nous serions faits ; et nos engouements successifs, si passionnés furent-ils, si enclins eux-mêmes à une définition, ne seront plus que mues sèches et friables.

mercredi 23 janvier 2019

23 janvier


Le contexte a toujours quelque chose d’absurde. Une salle d’études, par exemple, des rangées de tables bien alignées faisant face au professeur-surveillant. Des rangées d’étudiants assis sur leur chaise, le bazar ordonné à peine personnalisé sur chaque table. Ce silence qu’on dit studieux. Une sorte d’empressement anxieux déjà résigné à ce que la vie ressemble à cela : dans un bâtiment sans âme faire ses preuves. Binh-Dû, comme souvent, a oublié d’apporter de quoi écrire, mais ce n’est pas le plus grave, il pourra demander à un voisin ou un appariteur.
Ce qui est plus embêtant, c’est qu’il n’avait pas du tout prévu de se retrouver dans cet endroit précis. Il aurait mille fois préféré se retrouver ailleurs ; mais maintenant qu’il est là, il faut bien trouver moyen de se dépêtrer. Trois questions lui brûlent les lèvres, quoi, comment, sous quel délai ? Car il ne comprend pas ce qu’il est supposé faire, il ne comprend pas le problème à résoudre tel qu’il est énoncé. Il y a vraisemblablement une méthode à suivre, sauf qu’il ne la connaît pas. Et de combien de temps dispose-t-il encore ? Chut ! lui intime-t-on.

mardi 22 janvier 2019

22 janvier


Le contexte, Binh-Dû s’en fiche un peu. Certes, il y a une localisation possible, une architecture, des protagonistes, de simples témoins. Il y a une heure de la journée, un avant, un après. Il y a des tenants émotionnels et des aboutissants, à multiplier par un facteur x, et des intrications qui infléchissent les représentations géométriques. Mais à quoi bon ? Ce qui de tout cela ressort, ce qui importe, c’est la tendresse et la violence.
Des concepts, l'un et l'autre. Appliqués à plusieurs niveaux de réalité. Le boulevard Arago mène aux catacombes en passant par la prison de la Santé, la pente accélère le cœur des cyclistes. Les murs suintent l’abandon de tout espoir – autre concept fort maniable. Le dimanche passent aussi des poussettes. Les regrets brillent comme de l’argent empilé à la banque, un souvenir de bande dessinée où Picsou nageait sur une mer de pièces et de billets.
La porte de Binh-Dû donne vers l’extérieur sur une travée à ciel ouvert munie d’une rambarde. On aurait vite fait de basculer dans la cour, un étage plus bas. Il suffirait d’y être poussé, à coups de poings redoublés. À bout de manque, d’exaspération, de dégoût, tel un collier d’excuses auquel se pendre. Un jour cela ira mieux, en attendant, l’envie de tendresse est insatiable, reliée à une aspiration de violence infinie. Respire, souffle l’amie.

lundi 21 janvier 2019

21 janvier


Une petite dose, rien qu’une ! Allez, qu’est-ce que cela vous coûte ? Aujourd’hui c’est particulier, je n’ai pas eu de chance, mais demain tout rentrera dans l’ordre. Il faut savoir faire des exceptions, vous ne croyez pas ? S’adapter, moi je ne fais que ça, c’est la première condition de l’évolution des espèces. Et puis je sais mieux que personne ce dont j’ai besoin, non ? Je suis un adulte responsable. Je ne fais plus de cauchemars d’enfant. Je n’ai plus de ces peurs effrayantes, je souris, regardez comme je souris ! Des fois qu’on cesserait de m’aimer. C’est possible, ça se produit parfois. Ça m’est déjà arrivé. La perspective de mourir comme un chien, seul, ne pas réussir à atteindre le téléphone, ouvrir la bouche sans qu’aucun son n’en sorte, et l’air n’entrerait pas davantage. Jusqu’à présent je gère. C’est pour cela que j’aurais besoin d’une petite dose, je suis un peu désaccordé aujourd’hui. Un poids dans les nerfs, je ne sais pas ce que c’est. Comme une horloge qui se détraque, je n’ai plus que quelques décennies à vivre dans le meilleur des cas. Si je ne trouve pas à me détendre je vais claquer, c’est sûr. Ou quelqu’un viendra frapper à ma porte, un inconnu insistant, je finirai par ouvrir à la volée, ma clef à molette dans la main et je jure, s’il ne me laisse pas tranquille, s’il ne s’en retourne pas tout de suite d’où il vient, je lui exploserai la gueule. Rien que d’y penser je suis épuisé. Cette violence, ce n’est pas moi, vous savez. Allez, je vous en supplie, donnez-moi de quoi.

dimanche 20 janvier 2019

20 janvier


Il faudrait, il faudrait toujours, il faudrait encore et toujours quoi ? S’approcher telle la flèche de Zénon du secret de la suspension. Parvenir au point de limite exponentielle, presque totalement détendu, éternel, divin, ubiquiste. Les moines de la cathédrale reposent sur le lit des heures, sans nul besoin de guetter l’aube. Dans la campagne la nuit tombe d’un bloc et les maisons sont sourdes, tout déplacement devient inutile. Et dans le désert ? On ne sait pas ce qu’il s’y passe. La mémoire du futur entrave son cri dans un entonnoir de sable.
        Il faudrait délier sa main, et son épaule, et le mouvement de ses reins. Décocher la tabulation par défaut. Oublier qui l’on était pour laisser advenir la foule de ses hétéronymes, et cette fois ne pas vouloir les enrégimenter. Sentir, enfin, les points de relâchement se fluidifier dans la masse des tissus, et se diffuser d’insoupçonnées réserves d’endorphines. Alors un je de majesté pourrait apparaître. Sans courtisans, sans suffisance. Simplement –  un bras levé, « je » saisirait la perche et, comme un enfant, il jouerait à pivoter autour du monde.


samedi 19 janvier 2019

19 janvier


                Un crime va se perpétrer, est-ce en prévision que se hâte l’ambulance ? Mais non, personne ne se hâte, le gyrophare tourne paresseusement devant le bâtiment, et les badauds rassemblés paraissent peu concernés. D’ailleurs tout le monde ici semble sortir du lit, bonjour, il y a du café ? Des toasts, de la confiture ? Les ambulanciers eux-mêmes ne veulent pas de Binh-Dû, bien que son sang soit devenu bleu. Il y a un bain chaud qui t’attend à l’étage, bourdonne une abeille à son oreille. Et une jeune femme à demi-endormie, comprend-il à demi-mot.
                Ce que l’âme pénétrante veut, nous pourrions le découvrir. Si nous n’étions pas si intelligents, à nous cingler la face sous le feu de la grêle. Les premières jonquilles émergent des talus boueux, en faisceaux pointés d’un jaune encore ferlé. Aux branches des arbres pendent des gouttes miroitantes dans le soleil, qu’on croirait de glace. Le tremblement n’excuse rien, la fermeté n’impose qu’un présent lumineux. Binh-Dû cherche et ne cherche pas son diapason, il faudrait que quelqu’un s’en saisisse et en délivre, comme dans un conte, la vibration.