dimanche 5 mai 2019

1er mai


                Avant de recommencer à parler, il y eut le silence d’une dernière nuit. Puis le chant d’un oiseau, si mélodieux qu’à l’écouter, le matin, tu t’es rendormi. Le brouillard protégeait du soleil, c’était un temps à prendre la route s’élevant en lacets vers le col, peut-être y verrait-on plus clair. Au chalet, un petit garçon cache sa girafe dans un trou de souris.
                Sa mère est l’amie retrouvée, tu l’entends avec toujours autant d’évidence à travers les années, même sans les mots. Elle berce son dernier-né au rythme de sa marche, attention au bonnet qui glisse sur les yeux. Le grand frère, resté avec leur père durant la promenade, a délivré sa girafe. Le plus inlassable des jeux consiste à se raconter des histoires.
                Toi-même te fais une frayeur, inspectant sous la douche après la promenade un pli de chair glabre sur ton ventre d’où dépasse encore une minuscule paire de pattes étrangères : une tique, n’espères-tu pas, saisie entre deux ongles comme n’aurait su le faire un chien, arrachée rostre inclus. Espères-tu. La vue baisse, les draps sont frais, odeur de camphre.

samedi 4 mai 2019

30 avril


                Les générations futures, quelle imposture ! Notre prochain, suffirait déjà qu’il soit de nous le contemporain – on s’attache vite. Ceux qui préservent la planète sont conscients d’un phénomène hallucinant : la vie se perpétue. Ou bien, tout simplement, ils sont respectueux de ce qui est – cette branche pleine de sève, pour quelle raison l’arracher ?
                La terrasse d'un chalet abandonné, une truite (sous cellophane), un chien (son museau). Des moutons, des agneaux, des chèvres, des cabris. Une belette. En un autre temps, tu aurais raconté la belette sur le sentier, d’une phrase brève comme un haïku textoté, avec une rime facile pour s'en réjouir. Quelques gouttes de pluie tombent sur le plancher.
                Et puis la neige encore, d’aussi bas qu’on parte. (Bien qu’un souffle géothermique dessine des orées au pied des sapins.) Alliée cette fois du désir de redescendre, la vue dans la forêt trop longtemps s’est heurtée au son contradictoire de la rumeur automobile en contrebas. Se tromper si lourdement, les hommes, n’est pas qu’une question de génération.

vendredi 3 mai 2019

29 avril


                Les hirondelles se faufilent sous la charpente d’un coup d’aile hâtif et précis. Elles ne semblent pas perturbées par les avions qui se succèdent au-dessus de la grange. Quant aux arbres, ils poussent en hauteur pour justifier l’accroissement de leur circonférence, tu ne crois pas ? Tout homme est ton assassin en puissance. Tout assassin en puissance risquerait sa vie pour sauver la tienne.
                Les gens. Ils auraient l’occasion de s’écouter marcher, mais non, ils parlent d’un joueur de foot multimillionnaire ; ils engueulent leur chien ; ils mentent à leur enfant (« On est presque arrivés en haut ») ; ils sèment du plastique. Les gens. Faut-il continuer à les détester ? Ils saccagent la planète par dépit de n’être pas immortels. Ou éternels. Croient-ils. Ils suicident l’espèce pour dire merde à Dieu.
                Au sommet il fait froid, on pourrait confondre l’altitude avec la date d’érection de la croix. Protégez-nous, qu’y disaient. Tous morts depuis. Toi tu connais la faim, la soif, exaucées au-delà d’elles-mêmes. Le goût irremplaçable de la fatigue, la misère et l’exténuation. Sans cela, pas d’accès au royaume. Les aulnes se redressent de sous la neige et reprennent leur résilience là où elle attendait.

jeudi 2 mai 2019

28 avril


                La force du vivant est la joie. Maquillée parfois de quotidien – se nourrir, se protéger, parvenir jusqu’à l’abri de la nuit – mais telle est-elle autour de nous, si puissante, si exemplaire. En nous ? Pauvres humains dans leurs voitures, tripotant leurs bidules électroniques. À l’arrêt le moteur cliquette, dehors il fait chaud dès les premiers pas vers la place de l’église.
                Un vieillard tout tordu tend son visage buriné sous la fontaine, l’eau scintille dans sa barbe quand il se redresse un peu – jouvence ? Il observe le touriste qui hésite au son des cloches sur le chemin à suivre, trois propositions sur le poteau. Question de génération, de racines, « Je vais plutôt prendre le sentier du col », finit de se décider, à voix haute, le touriste.
                Comme s’il s’agissait de commander dans un restaurant. Mais ce col lui aussi est sous la neige, on l’aperçoit entre deux sommets, par où passent les nuages. Depuis un rocher éboulé déjà la vue est belle, à contempler sans méditation. Trois marmottes pointent leur nez ; un bouquetin ; un accenteur alpin son bec. Le « je » qui regarde, immobile, est dénué de motif.

mercredi 1 mai 2019

27 avril


                Deuxième tentative, un peu plus bas dans la vallée, toujours trop haut, la neige s’est amassée dans les sous-bois. À peine on s’élève elle monte aux mollets.  Elle a fait s’effondrer des sapins en travers. Sur l’adret elle dévale en craquant, laissant un sillage poudreux. Il est midi, temps de redescendre avant qu’elle ne fonde davantage.
                Les feuilles des noisetiers s’offrent en prière au sortir du bourgeon ; celles des marronniers semblent épuisées par leur naissance, telles des ailes mises à sécher (elles pendent). Tout ceci est provisoire. De même les épines des épicéas, lesquels hâtivement on dénomme sapins. Ce monde est jeune et vieux.
                Dans la vallée, au pied des montagnes se sont accumulés deux siècles de déchets. Métal extrait de la terre, un sale reliquat d’usines et d’industries plus ou moins durables. Comme un éboulis chu du paradis. Il faut dépasser la lie pour revivre aux champs de pissenlits, et à l’extinction de la lumière souffler sur l’essaim des pappus.