mercredi 7 avril 2021

d'un point de vue à l'autre

2 janvier 2020

(7/n)

Il retourne à son travail – faire le pont, pourquoi ? Ou le mur, ou le mort ?

Il a toujours choisi une voie de facilité.
Ce qui ne signifie strictement rien, d’un point de vue psychologique.

Parlez-moi de vos parents.

Le dernier jour d’une classe verte j’ai pris conscience de n’avoir pas averti ma mère que j’étais bien arrivé, puis je me suis rappelé qu’elle n’avait pas téléphoné, ce qui était bon signe.

Mon père avait une façon bien à lui d’écaler les œufs durs, il les mangeait par trois, et maintenant je fais comme lui bien qu’il soit dans une maison de retraite et perde un peu la boule.

Restons-en là, c’est l’heure.

D’un point de vue pratique, mieux vaut préparer son itinéraire.

Il s’efforce de faire le meilleur choix.
Il a hésité à retirer les stickers "Joyeuses Fêtes !" avant de renoncer.

mardi 6 avril 2021

En puissance dans les germes des plantes

1er janvier  2020

L’une de tes amies est née un 31 décembre, peut-être tient-elle son entrain de sa naissance. Comme une attraction solaire, en puissance dans les germes des plantes. Ou un sens de la fête, elle te dirait Viens, suis mes pas et danse, tu vois ? Et tu verrais, a minima. Une autre de tes amies t’a rencontré un 31 décembre, à moins que ce ne soit toi qui l’aies rencontrée, plus sûrement vous vous êtes rencontrés. À tel point que c’est devenu un anniversaire qui se célèbre, en dépit de l’éloignement physique. Tu rêves d’elle comme d’une personne dotée de pouvoirs merveilleux.

Tu peux en effet marcher dans les rues désertes, du moment que tu ne tournes pas la tête mais tout le corps à partir des hanches, que tu ne balances pas trop les bras et que tu n’essaies pas de te suspendre aux bottes du premier père Noël venu encore accroché à son balcon. Il bruine, avec un peu d’imagination ce serait caresses de flocons de neige. Une troisième amie née juste après le jour de l’an, à des centaines de kilomètres de distance t’a envoyé rien de moins qu’« une pluie de lumière dorée, douce et paisible ». Ce doit être cela. Bien mieux que la mort. Toi tu es né en automne.

dimanche 4 avril 2021

Un perpétuel décalage

31 décembre 2019

(6/n)

C’est bien là le problème. Un perpétuel décalage.

On n’attend plus le terme du compte à rebours pour souhaiter une bonne et heureuse année (déjà ce matin, à la boulangerie – Et bonne santé surtout !), mais attention : à souhaiter de plus en plus tôt que se termine l’exercice en cours on finira par porter le deuil dès l’automne, l’été, le printemps, le 2 janvier puis à s’avaler dans un trou noir temporel défiant toute espérance de futur, et ce sera la fin de tout, à commencer par celle de notre propre histoire individuelle. Sous le(s) manteau(x) il n’y aura plus qu’une disparition inexplicable.

Mais enfin, aucun sac, aucun portefeuille, aucun objet sentimental oublié dans les poches n’a été volé, alors ce n’est pas si grave.

Il doit tout de même y avoir une explication, sauf que tout le monde s’en fout. La nuit du 30 au 31 ne diffère de celle du 31 au 1er que par convention sociale et souvenirs associés. Les excitations enfantines – et s’il n’y avait d’un coup plus rien que le néant (si l’on basculait littéralement par-dessus le rebord d’un crédit périmé) ? Ou d’un coup seul au monde entre quatre murs éloignés, dans une forêt de murs où crier en vain ? Les crédulités adultes, comme le miracle d’un baiser qui effacerait toutes les années d'avant. Cela, oui, fait une différence, préfigure une douleur.

En éternuant par inadvertance tu t’es froissé un muscle dorsal, plus question d’aller danser. Sans toi, tu rêves, le meilleur moyen de combler une distance.

vendredi 2 avril 2021

Indécision du prochain pas, sait-on seulement ce qui l'impulse ?

30 décembre 2019

(5/n)

Ou bien c’était un photographe – le frère de Charlotte ?

Cette époque est révolue, sept années de renouvellement des cellules. Confusion des souvenirs et des visages, indifférenciation des pronoms personnels et impersonnels.

Indécision du prochain pas, saurait-on seulement ce qui l’impulse. Le génie n’a pas le vertige parce qu’il se sait léger en dépit de tout ce bronze, et de la dorure encore. Il sait que si s’effondrait la colonne sous son pied, lui resterait en l’air, suspendu à ses ailes comme en un rêve.

Et toi, es-tu vraiment dans cette chambre sans vue sur la Bastille, à regarder des manteaux vides et à entendre une rumeur de rires et de conversations animées dans la pièce d’à côté ? La tentation est grande de s’enfouir sous les manteaux et de s’y aplatir du mieux possible. Le beau monde a oublié qu’il t’attendait et toi-même tu n’es pas certain du rôle à jouer – ou simplement à tenir. Tu n’es pas certain que te tenir en équilibre entre ciel et terre soit la plus brillante manifestation de ta différence, un gage de compétence. Et pour qui ? Pour quelle âme apparemment absente du salon que tu as traversé en disant Bonsoir… Bonsoir… Oui, je reviens… Je dépose juste…

Un jour, si cela ne s’arrange pas, tu seras moins vulnérable et tu t’en féliciteras. Tu auras intégré l’aisance du premier ricanement. Tu n’auras plus de montées de larmes. Tu auras tout normalisé dans le cynisme. Et celles qui aujourd’hui pourraient t’aimer ne pourront plus – ton amour se sera racorni.

jeudi 1 avril 2021

Rien ne suffit jamais

29 décembre 2019

(4/n)
(photo : Jacques Bousiguier)

Rien ne suffit jamais. C’est une vérité qu’il a retenue de Charlotte – la sœur d’un musicien qu’il croisait parfois dans les bars de Ménilmontant, à l’époque il habitait encore chez sa mère. Une fille joyeuse (Charlotte) dont les yeux brillaient, qui lui faisait un peu peur, dont il ne comprenait pas ce qu’elle voulait, ce qui lui manquait, pourquoi cette énergie insatisfaite. Il ne la voit plus.

Il y a quelque temps il s’est retrouvé à une fête, dans l’appartement d’une amie d’amis qui n’en sont pas vraiment, plutôt des connaissances, il y avait un petit balcon où fumer mais déjà depuis l’intérieur, par la grande fenêtre du grand salon, on pouvait apercevoir dépassant des toits des immeubles d’en face le génie doré de la Bastille. Les ailes déployées – et la colonne de Juillet sur lequel il prenait appui était invisible. Nul besoin de se hisser sur la pointe des pieds. On ne le voyait pas depuis la chambre où un lit à deux places (au moins !) disparaissait sous un tas de manteaux. Les rares filles qu’il a invitées dans son réduit du septième ne sont pas revenues, il les avait prévenues, avait tenté de les dissuader de risquer l’ascension, avait cédé, ne souhaitant rien cacher.

Le magasin aurait dû fermer entre Noël et le Nouvel An, à peine quelques clients qui ne suffisent certainement pas à payer les charges fixes et son salaire. Mais ce n’est pas lui le patron. Pas lui qui décide. Son plan est de mettre assez d’argent de côté pour pouvoir tout plaquer et tenir, disons un an. Sauf qu’il ne conçoit pas de passer des journées entières dans cette chambre (il n’y tiendrait pas). Il lui faudrait déménager mais pour déménager il faut des fiches de paie. Réviser donc le calcul initial : déménager puis plaquer le boulot puis tenir ailleurs. Tel serait le nouveau plan.

Quelque chose cloche, bien sûr, une incompréhension à la base.

mercredi 31 mars 2021

Il avait pensé disposer de l'essentiel

28 décembre 2019

(3/n)

Déjà, il a de bonnes cuisses grâce aux chiottes communes à la turque. Et de bons mollets car il lui faut se hisser sur la pointe des pieds pour apercevoir par le vasistas le château d’eau de Montmartre – cela le rassure qu’il y ait un point fixe par-dessus les toits ; sinon il pourrait se croire dans une autre ville hostile, et quand il pousserait la lourde porte de l’immeuble dans le sens de la sortie, ce serait comme une gifle déconcertante, à chaque fois, de débouler sur un boulevard extérieur saturé de gaz, de délabrements néonisés et de prostitution. Le château d’eau de Montmartre n’y change pas grand-chose à vrai dire, c’est presque une figure de style ou une superstition, un substitut plaisantin à la basilique qui reste masquée.

Les associations de pensée magique réconfortent.

Il a tenté de mettre de la musique classique dans le magasin, au début quand il n’y avait aucun client, puis dans l’espoir de générer des complicités mélancoliques, mais il a obtenu l’effet inverse. Comme si la splendeur d’un déploiement harmonique était une agression. Comme s’il en voulait à l’argent des clients, et à leur âme par-dessus le marché ! À son étage, l’un des locataires laisse souvent sa porte ouverte pour faire circuler la fumée de son herbe, comme une proposition ouverte. Dans les chambres il n’y a pas de WC mais une cabine de douche individuelle – deux mètres cubes mal jointoyés, en signant le bail il avait pensé disposer de l’essentiel. Mais il se trompait.

mardi 30 mars 2021

En fait, le calcul est un peu décevant

27 décembre 2019

Il se dit qu’un jour, probablement ce sera durant la période des fêtes quand les bourgeois des étages desservis par l’ascenseur seront partis faire des feux de bois dans leur résidence secondaire, entre Noël et le Nouvel An disons, et pourvu qu’il n’y ait pas de grèves qui les ait retenus à Paris, mais pourquoi se soucier d’eux puisqu’ils n’empruntent jamais l’escalier de service, la gêne proviendrait plutôt des autres exilés du septième étage qui le regardent par en-dessous comme s’il était susceptible de les dénoncer aux agents de l’immigration alors que pas du tout, jamais de la vie, j’aime vos odeurs de cuisine et les sons de pays inconnus affluant dans vos paraboles, c’est juste que je ne suis pas très sociable par nature et que je crains que vous n’interprétiez mal ma façon de me coller au mur quand nous nous croisons et que je serre dans mes bras deux briques de jus de fruits bios qui ne tiennent pas dans mon sac à dos... Un jour donc, ce ne sera pas l’été, il fera plutôt froid parce que ce serait bon de se réchauffer le sang, un jour donc s’il en éprouve l’impulsion, il essaiera de battre un premier record dans l’escalier, il pense qu’il pourrait tenir vingt bonnes minutes pour commencer, soit au moins cinq allers et retours, trente-cinq étages en montée et autant en descente, 770 marches multipliées par deux, en fait le calcul est un peu décevant, il s’agirait de recommencer un jour suivant, plus vite ou plus longtemps… À la fin il se sentirait fort, et de nouvelles perspectives s’offriraient peut-être à lui.