mercredi 31 mars 2021

Il avait pensé disposer de l'essentiel

28 décembre 2019

(3/n)

Déjà, il a de bonnes cuisses grâce aux chiottes communes à la turque. Et de bons mollets car il lui faut se hisser sur la pointe des pieds pour apercevoir par le vasistas le château d’eau de Montmartre – cela le rassure qu’il y ait un point fixe par-dessus les toits ; sinon il pourrait se croire dans une autre ville hostile, et quand il pousserait la lourde porte de l’immeuble dans le sens de la sortie, ce serait comme une gifle déconcertante, à chaque fois, de débouler sur un boulevard extérieur saturé de gaz, de délabrements néonisés et de prostitution. Le château d’eau de Montmartre n’y change pas grand-chose à vrai dire, c’est presque une figure de style ou une superstition, un substitut plaisantin à la basilique qui reste masquée.

Les associations de pensée magique réconfortent.

Il a tenté de mettre de la musique classique dans le magasin, au début quand il n’y avait aucun client, puis dans l’espoir de générer des complicités mélancoliques, mais il a obtenu l’effet inverse. Comme si la splendeur d’un déploiement harmonique était une agression. Comme s’il en voulait à l’argent des clients, et à leur âme par-dessus le marché ! À son étage, l’un des locataires laisse souvent sa porte ouverte pour faire circuler la fumée de son herbe, comme une proposition ouverte. Dans les chambres il n’y a pas de WC mais une cabine de douche individuelle – deux mètres cubes mal jointoyés, en signant le bail il avait pensé disposer de l’essentiel. Mais il se trompait.