lundi 9 octobre 2023

Suspension extra-temporelle

La foudre a frappé 
en retrait du col,
vitrifiant la roche
serpentine

On croirait qu'elle a également
forgé le lac
et son miroir
insondable et sacré
 

D.R.


vendredi 6 octobre 2023

Il faut se déconnecter, il faut se reconnecter

mardi 4 octobre

Il ne faut pas se reconnecter (aux satellites parasites). Il faut se reconnecter (à la nature dont nous sommes faits). Un oiseau trottine dans la rue déserte, il en fait du chemin, en long et en travers, qu'il pourrait parcourir d'un battement d'ailes. Parce que c'est moins fatigant ? Et moi ? Est-ce que je choisis le plus souvent de ne pas vivre au plus élevé de ce qui m'est donné ? Une sauterelle bondit en faisant miroiter des ailes bleu royal puis se pose terne sur le sol. Faire peur ou se camoufler. Et moi ? N'appliqué-je pas précisément ces mêmes deux stratégies en environnement menaçant ?

En haut du col, suant après l'effort, je me couvre de plusieurs couches de vêtements mais il ne fait pas si froid. Je ne mets pas mes gants. J'admire la vue immense, les montagnes enneigées, les nuages en contrebas. Je m'assieds. Il y a des moments de silence absolu. Ni vent, ni oiseau, ni cascade, ni avions. Faire le tri et évaluer le sentiment. Si tout est mort alentour, serai-je heureux encore ? 

Je ne fais pas le tri. Ces journées sont parfaites. Tout va bien. Tout s'agence à merveille. Même les erreurs et les contrariétés (les "mauvais choix") se révèlent favorables. Les retards, les fausses routes, les anticipations erronées aboutissent à des instants que je n'échangerais pas contre d'autres. Les souhaits se réalisent : au soir, la douche idéale, j’avais à peine osé l'espérer. Tout est parfait. Mais aussi et pourtant : je perds mes cheveux, mon nez devient un tarin (me dit le miroir du camping). Cela fait plus de vingt ans que je mange chips, conserve et banane dans une voiture avant d'y dormir.

Ces années sont dépensées. Était-ce parfait ? David Bowie a eu une vie idéale et il est mort, est-ce parfait ? Qu'est-ce que la perfection d'une vie qui s'écoule puis qui cesse ? Il faut admettre qu'une vie parfaite peut cesser à tout instant. Pour le bébé comme pour le vieillard. Cela s'appelle le présent. À quinze ans la mort d’une irremplaçable m'a plongé dans un deuil infini, une conviction défaitiste. C'est parfait.



jeudi 5 octobre 2023

Quand la joie laisse place à l'euphorie

lundi 3 octobre

Dans la précarité de ce corps ayant besoin d'eau, de nourriture, de sommeil, d'une température extérieure ni trop chaude ni trop froide. Je me réveille à proximité du garage, le parebrise est couvert de givre à gratter mais la voiture démarre sans problème. Un berger en pick-up a installé son troupeau de chèvres et de moutons dans une prairie fraîche, je photographie des plantes fanées. 

 

Je ne photographie pas les moutons mignons, je ne photographie pas la chapelle rénovée, je laisse un couple de randonneurs rechercher sur ma carte le nom des sommets enneigés qui m'importe peu. Je me tais autant que permis, mes poumons respirent, mon cœur s'emballe, mes genoux me tirent vers le haut. La joie laisse place à l'euphorie, tout cela est si beau. Arrivé au col, seul je danse.

 

Idiot. Faisant un selfie avec ma main gantée en évidence pour l'envoyer (plus tard, quand je me reconnecterai au réseau) à l'amie qui m'a offert ce gant il y a une éternité. J'en ris, cela la fera rire. Elle s'inquiétait que j'aie si souvent froid sans le savoir. Faisant des photos pour ma mère, qui aime ces paysages. Je fais des photos par amour. [Puis je redescends. Je redeviens malavisé car, de retour, j’obéis à la complaisance consistant à allumer la radio et je dors mal, pensant à Poutine, Melani, Bolsonaro.]

mardi 3 octobre 2023

La vie est un resouvenir

dimanche 2 octobre
 
    Insouciant je me suis endormi au pied d'un château et me suis réveillé en panne de batterie. Retour à la vie semi-sauvage, après quatre jours matériellement plus confortables. Retour à cette voiture-bonbonnière où je ne vais tout de même pas passer la journée. À la première joggeuse qui passe je demande si elle a des câbles, elle téléphone à son copain. J'ai déjà vécu cette situation, ce moment, exactement, je ne le lui dis pas pour n'en pas hâter la dilution. Son copain n'a pas de câbles. Un homme qui promenait son chien en a, lui, et sa voiture est garée juste à côté. Ça redémarre. Nous dégoisons ces voitures modernes. Il me conseille d'aller voir son pote garagiste, d'ailleurs il me propose de le suivre jusqu'au garage pour savoir comment m'y rendre lundi, sa serviabilité est grande, peut-être écoute-t-il une radio populo-fasciste et vote-t-il en conséquence.

    Je marche sur le chemin du col, vite, dans l'air frais de cette saison et de ces montagnes. Et la joie surgit, comme d'inespérées retrouvailles, c'est si beau. Je suis revenu. Dix années se sont écoulées depuis la dernière fois, dans ce massif excentré, celui de mes tout premiers souvenirs montagneux. Je suis chez moi en quelque sorte. Et tout a déjà été vécu. Même les prochaines fois. Tout est déjà-vu, comme ce moment près de la voiture en panne, le temps n'est pas linéaire, il est accompli, et la vie est un resouvenir de ce qui a déjà eu lieu. Une pensée dingue et apaisante. Je n'ai rien à craindre, ma vie fut belle et longue au fur et à mesure que je la redécouvre, aimée et chanceuse. Même en sa précarité circonstancielle – l’incertitude que la voiture redémarre ce soir, que je puisse même l'ouvrir, que je trouve où dormir, que j'aie froid… Ici est le bonheur.
 

 

vendredi 29 septembre 2023

des gens, des chiens, du fascisme

mardi 27 septembre 2022
 
    Dans ce village médiéval, un autoradio me réveille, je garde les yeux fermés en espérant que cesse le bourdonnement inepte d'un bavardage probablement populo-fasciste. Mais qui vient garer sa voiture à côté de la mienne, le matin, pour y rester enclos et s'abrutir d'aigreur ? Finalement mon immobilité a raison de son bruit et la voiture repart.
    Dans le village je croise des gens avec des chiens. L'un d'eux (un chien) file vers moi sitôt son maître l'a lâché dans le parc planté d'arbres commémorant les morts de 14-18. Sifflé. Un autre se promène sans laisse au côté de sa maîtresse qui me sourit. Un autre encore promène son homme saoul – déjà ? – ou médicamenté ou pressé de mourir.
    Je reprends la route, en direction de la maison parentale qui est la raison première de toute cette virée, j'y suis attendu avant la nuit. Il reste du temps pour s'enfoncer dans la garrigue. Je n'apprécie pas trop le paysage, longeant le tracé des pylônes. Je marche pour marcher. Je croise encore deux chiens, rappelés bien que placides sur mon passage.
    Et voilà, je suis arrivé. C'est une autre histoire qui ne se racontera pas ici. Une histoire de quelques jours. Je renoue avec la parole, un certain confort, des plats chauds. Des nouvelles du fascisme qui a triomphé une nouvelle fois en Italie et d'un virus qui patiemment détruira les cellules de nos cerveaux, qu'ils soient soucieux ou satisfaits.
...

mercredi 27 septembre 2023

Il faut imaginer Cassandre heureuse

lundi 26 septembre
 
    Mais y a-t-il de quoi ne plus trembler ? Il faut imaginer Cassandre heureuse (revisiterais-je Camus). Sisyphe encore vivait dans le feu de l'action, Cassandre est à bout de courage. Il faudrait apprendre à pratiquer un désespoir heureux. Ou mettre de la joie dans le désespoir. Nous n'avons plus trop le choix, nous qui savons.
    Il fait froid, comme il faisait chaud, de plus en plus. Le vent souffle sur le causse et s'insinue même dans les replis. Le lichen pousse sur les conifères. Le chauffeur-grutier d'un camion chargé de grumes arpente soigneusement les abords d'une parcelle saccagée, ses bras débordent de champignons. Jusqu'où, morte, la forêt vivra-t-elle encore ?
    J'ai si froid que j'hésite à m'arrêter pour enfiler une polaire sur ma chemise d'été, comme si marcher vite était indispensable à me maintenir en vie. Peut-on mourir de tant d'inadaptation ? Que faire de la conscience de notre précarité thermique - les hommes préhistoriques devaient survivre à chaque nuit, quand dans la voiture je tournerai un bouton de chauffage.
    Une mini-clairière de soleil où ingérer quelques calories, enfiler cette polaire - mes doigts sont gelés au point de ne pas pouvoir remonter la fermeture éclair. Au point de peiner à enfoncer une cuillère dans un avocat, je dois le poser sur une souche et peser avec tout mon corps. Un couple emmitouflé rentre les épaules sur le plateau préhistorique. J'étreins un menhir à ma taille.