samedi 12 janvier 2019

12 janvier


                Des gâteaux écrasés au fond d’un sac, on verra ce qu’on en fait. Pas grand-chose, ou alors d’une façon un peu dégueulasse. Il y a de l’excitation dans la salle de bains, une grosse faim. Il y a du bâillement concomitant, à s’en péter les vaisseaux du cerveau, prière de ne pas mal interpréter. Binh-Dû a du souci avec les interprétations, en ce moment par exemple il pleure et pourtant il n’est pas triste, c’est juste physiologique. Il a froid. Il aspire à davantage de simplicité, comme quand il était enfant et qu’il mangeait avec ses doigts, suçant le jus du poulet.
                         
                (Cent-dix-sept jours font moins d’un quadrimestre, moins d’une saison s’il n’y en avait que trois dans l’année. Plus le temps passe maintenant et moins leur accumulation forme problème, au contraire c’est joyeux, Binh-Dû reprend le fil d’une conversation interrompue alors que l’hiver était loin encore, il aime toujours autant entendre la voix et les mots de celle qui était partie, et comme si c’était hier ou presque les voici qui se parlent infiniment tandis que la nuit s’écoule, nouvelle. Ils ne tarderont plus à se revoir, c’est un espoir, et le printemps suivra.)

vendredi 11 janvier 2019

11 janvier


Il est encore dans la forêt – le temps qu’il y passe, c’est fou ! En même temps, il survole. Les loups en-dessous de lui lèvent leur tête grimaçante, ce ne sont même pas des chiens. Ils sont les évadés de la matrice. Lui se tâte, l’avantage quand on plane c’est qu’on peut aussi atteindre des parties de soi qui sont oblitérées le reste du temps par des points de contact. En un sens, planer c’est être plus que nu. Et davantage bébé qu’un bébé. De là-haut il voit des choses qui ne se soupçonnent qu’à peine ici-bas. Son point de vue unique mériterait un peu plus de confiance de sa part, et de la gratitude aussi. Au lieu de ces grimaces. Quand il était en ville, il allait se planter face aux caméras de surveillance – trafic, incivilités, circuits de consommation – pour narguer les opérateurs fantômes. À l’occasion il trifouillait dans les fils et provoquait des disjonctions. Puisque le silence était soumis par la rumeur incessante des moteurs, il parlait de fantôme à fantôme en ouvrant exagérément la bouche, muettement. Il proférait des sons imaginaires, sans queue ni tête, ah il s’amusait bien. Non, il ne s’amusait pas du tout. Il résistait comme il pouvait. Comme on s’évertue à coincer les pales des géants, là, juste à la faiblesse de l’armure. Plutôt s’élever plus haut et se moucher dans un nuage.

jeudi 10 janvier 2019

10 janvier


                Ils entrent en ribambelle par la fenêtre, une flopée d’enfants. Des bébés, des marmots, sur les genoux ou sur deux pieds, accompagnés chacun d’un parent qui s’excuse, on ne fait que passer ! Ils traversent la pièce à  vivre, ils vont dans la salle de bains, ça n’en finit pas, comme dans le gag éculé de la voiture où prennent place une noria de passagers. Cela cesse tout de même, le dernier bambin se relève sur le parquet devant la fenêtre et court maladroitement rattraper l’avant-dernier. Binh-Dû jette un œil à leur suite. Personne ; la lucarne au-dessus de la baignoire est ouverte.
                Tu es trop manichéen, lui a-t-on reproché, alors il fait des efforts en sens inverse. Le bien, le mal, après tout, ce sont des notions surfaites. Non ? Quelque chose le chiffonne, à se retenir de juger il finit par trouver que ses mains véhiculent une insistante odeur de savon. Et puis il a toujours de ces envies de démolir untel ou unetelle qui, franchement, le mériteraient bien. Un jour soudain se produira peut-être une sorte de miracle, au début il pensera être en train de mourir, sa chair corrompue sur l’os, puis il découvrira qu’ainsi les agrafes oubliées sont plus faciles à ôter.

mercredi 9 janvier 2019

9 janvier


                Nous sommes ce dont nous sommes faits. La matérialité fouette Binh-Dû. Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Va-t-on repartir pour une nuit d’insomnie, et ces fadaises de « sacralisation de l’écrit », elles viennent d’où ? Le mot, le son, le sens. L’incarnation des idées. La transmission vectorielle des vibrations, la rencontre des tellurismes. Papillon, tu es fait de poudre.
                Si l’on ne le comprend pas toujours, c’est que Binh-Dû n’a pas suffisamment asséché la question. Il a tourné autour, laissant les empreintes de ses grosses pattes dans la vase, il a tâté la température, relevant la tête il a humé une odeur insolite et il s’est carapaté on ne sait où, pfuitt, disparu... L’escampette à l’assaut du hors-champ.
                Dans son dos on pourrait enfouir la tête comme dans un oreiller. (Oui, car le quotidien de Binh-Dû est tout de même très éloigné de la savane.) On la remuerait tel un chat insatisfait. Alors quelque chose se produirait qui échapperait au positivisme, soudain les pensées perdraient leurs corps d’attache. Perlimpimpin ! lancerait un merle sur la branche.

mardi 8 janvier 2019

8 janvier


                Binh-Dû sent son psoas à la ramasse. Est-ce une raison pour tomber plus bas ? Bien sûr que non. Les gens disent n’importe quoi, assène l’un d’eux, il est difficile de lui donner tort. D’autres évitent cette sorte de considération, ils font mieux. Ils construisent une œuvre. Ils se taisent. Ils choisissent avec attention leurs évidences. Ils se rendent aimables. Ils aiment.
                Au bal, les chaises ne sont pas pour les chiens. On y va s’asseoir et se masser les reins. On y va se pencher vers celle qui se penche aussi, de l’autre côté de la petite table ronde de jardin. On y converse plaisamment, en fond sonore se débitent des histoires dramatiques qui trémulent et accordéonisent depuis un siècle ou davantage. C’est joli.
                Les pigeons cherchent des miettes, les chats les laissent tranquilles. Ou sont-ils fatigués de toute cette agitation ? L’un d’entre eux – un pigeon – gratte le sol de sa patte fantôme. Ses griffes sont encore accrochées à la grille d’un arbre, non loin de là. S’il avait voulu, Binh-Dû aurait pu dégager à la souffleuse les allées d’un parc municipal où tournent en vain les exilés.