Le plus ancien souvenir de Leisha était de lignes
fluctuantes qui n’étaient pas là. Elle savait qu’elles n’étaient pas là parce
que, quand elle tendait le poing pour les toucher, son poing était vide. Plus
tard, elle comprit que les lignes étaient de la lumière : la lumière du
soleil se déversant entre les rideaux dans sa chambre, entre les volets de bois
dans la salle à manger, entre les claies entrecroisées de la serre. Le jour où
elle comprit que le flot doré était de la lumière, elle rit tout fort de la
pure joie de la découverte, et Papa, qui mettait des fleurs en pot, se retourna
et lui sourit.
Nancy Kress (in L'une rêve, l'autre pas)
La lumière : rien qu’une paupière
Sur le chaos…
Marina Tsvetaïeva (Nuit in Les poésies d’amour
éditions Circé, traduction Henri Abril)
Il
lui arrivait de réagir à l’improviste à une mélodie et même au souvenir d’une
mélodie (…). Ses harmoniques répondaient à certains appels comme à un diapason,
et, une fois ces échos éveillés, se produisait un de ces états que les
mystiques appellent "extase" et les saints "contemplation" ; les plus grands et les plus posés des
psychologues modernes avaient reconnu comme un fait l’existence de cet état et
l’avaient nommé "sentiment océanique". Et en vérité, la
personnalité s’y dissolvait comme un grain de sel dans la mer ; mais au
même moment, l’infini de la mer semblait être contenu dans le grain de sable.
Le grain ne se localisait plus ni dans le temps ni dans l’espace. C’était un
état dans lequel la pensée perdait toute direction et se mettait à tourner en
rond, comme l’aiguille de la boussole au pôle magnétique ; et en fin de
compte, elle se détachait de son axe et voyageait librement à travers l’espace,
comme un faisceau de lumière dans la nuit ; et il semblait alors que
toutes les pensées et toutes les sensations, et jusqu’à la douleur et jusqu’à
la joie, n’étaient plus que des raies spectrales du même rayon de lumière,
décomposé au prisme de la conscience.
Arthur
Koestler (in Le zéro et l’infini)