Je
t’ai aimée tout de suite, l’immédiateté de mon sentiment m’a surprise. Je
m’étais préparée à t’aimer comme on prépare un examen. Je te désirais,
vraiment, mais une petite voix en moi me soufflait que l’amour pour un enfant
n’allait pas de soi. (…) Tant de mères restent indifférentes à l’arrivée d’un
enfant qu’on leur colle sur le ventre en attendant d’elles qu’elles s’exclament
« Oh mon Dieu ! », qu’elles saisissent le nourrisson à travers
des larmes de joie avant de le tendre à la sage-femme pour qu’elle les débarrasse
de ce truc gluant. J’ai aussi été cette mère-là. Un peu dégoûtée par ce que tu
charriais de mon ventre sur ton corps. Je ne t’ai pas vraiment regardée, mais
dès que l’on t’a détachée de moi, tu m’as manquée. Je me souviens même de m’être
demandé pourquoi je t’aimais à ce point. Je ne trouvais pas tout ça très
normal. Mais c’était là, l’amour. Comme une chose qui m’exaltait et me pesait à
la fois.
Nathalie
Kuperman (in On était des poissons)
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C’est
impossible à expliquer, la maternité. Ce qui est perdu, le sang, le muscle et
l’os qui sont puisés dans le corps pour donner nourriture et souffle à la vie
qui va naître. Le bulldozer de fatigue qui te broie tout le long du premier
trimestre, les haut-le-cœur qui te tordent le matin, la déformation, la
boursouflure, la déchirure de tout ce qui était ferme ou délicat, jusqu’au
moment où ton corps ne t’appartient plus et devient une chose à laquelle il
faut survivre. Mais ça, ce n’est que le physique. Ce qui use le plus, c’est la
suite.
La
partie de moi que mon corps a insufflée en toi, cette partie a fait de nous
deux personnes inséparables qui partagent une seule âme. Je pense la même chose
de tous mes enfants. Un père ne peut comprendre à quel point vous existez
profond en nous, si profond que, où que vous alliez, un peu de moi demeurera
toujours un peu de vous. Malgré toutes les nuits d’insomnie où vous nous
assommiez avec vos braillements affamés, malgré tous les trajets en voiture où
vous n’arrêtiez pas de hurler, malgré (…) tout ça, il y avait toujours sous la
surface une forme de perfection inouïe. Vos réveils dans le creux de mes bras,
le blanc de vos yeux qui brillait de curiosité en absorbant la moindre
nouveauté, et votre peau d’une douceur infinie qui pétrissait ma joue. Les
rebords de fenêtre où je m’asseyais pour vous bercer. Le duvet de vos premiers
cheveux sous mon nez quand je vous blottissais endormis contre moi. Votre
visage qui s’éclairait devant la première chenille que nous trouvions dans la
terre, vos couinements de rire lorsque nous vous soufflions sur le ventre, ou
encore les jours où toute la famille s’agglutinait sous la couette à cinq
heures du matin pour se rendormir, chacun buvant aux rêves des autres. Le monde
entier était là, dans vos yeux, il irradiait de votre peau brune et parfaite.
Tout redevenait neuf, sans arrêt. Ce qui me secouait était si sacré et si
entier que je n’avais pas besoin de prier pour savoir que les dieux étaient
avec nous, en nous.
Kawai
Strong Washburn (in Au temps des requins
et des sauveurs)
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Ta
mère était folle aussi je suppose, comme toutes les mères évidemment. Quand un
être nous sort du ventre, quand il nous sort d’entre les jambes, on devient
quoi ? On devient folle. Si on ne l’était pas encore, on le devient, c’est
la nature.
Laura
Vazquez (in La semaine perpétuelle)