Au vieux monsieur, Binh-Dû tient la lourde porte vitrée. À la mendiante
affalée contre un mur pisseux qui le bénit au nom d’Allah il adresse un franc
sourire. À la caissière il souhaite une bonne journée, et un bon week-end tant
qu’il y est.
Son voisin, il prend soin de le remercier en sourdine puisque les cris
des zombies égorgés ont été ramenés à un niveau sonore acceptable. (S’il le
remerciait à haute voix, Dieu sait ce qui se passerait !)
L’œuf cassé à côté de la poêle et dont le jaune a séché dans la chaleur
de l’inox, il le gratte avec précaution comme il recueillerait une poudre
dorée, une épice précieuse à conserver pour le plaisir des yeux dans un
ramequin transparent.
Mais il ne fait pas cela, non. Il a passé l’âge des compulsions
fétichistes, ou bien il ne conçoit plus l’espace où les réaliser. Il est
conscient des mécanismes compensateurs qui le font fonctionner au quotidien. Il
a l’air bon comme le pain.