La pluie tombe abondamment comme elle le ferait sur les pentes d’une
montagne si Binh-Dû s’y trouvait, heureux d’avoir quitté la ville, sous ses
pieds il contacterait à nouveau la roche, la terre meuble, les herbes et les
fleurs innombrables, dans sa poitrine son cœur battrait plus fort, joyeux par l’effort et de l’espace, il renverserait la tête en arrière pour sentir le
crépitement des gouttes d’eau sur sa peau, il serait trempé malgré le poncho
imperméable, il rirait de l’inconfort, il se féliciterait d’être parti.
Un escargot en plein milieu de l’allée bitumée avance en dandinant sa
coquille fragile, d’un beau jaune pâle, d’une unique spirale, entre deux doigts
Binh-Dû le saisit et le dépose plus à l’abri dans le gazon. Un corbeau crève
par en-dessous le sac en plastique d’une poubelle publique, sur le trottoir se déversent
des reliefs de nourriture synthétique dont l’oiseau se contente. La déchirure
du poncho s’agrandit sous l’encolure. De quoi passer la main,
extraire un organe, changer de corps et de monde.