dimanche 24 juin 2018

24 juin

Celui qui s’inquiète de perforer la terre avec ses bâtons de marche soudain découvrira les pylônes plantés des remontées mécaniques. Le cheminement fut hideux longtemps dans ce paysage ravagé, mais indispensable à la découverte d’un vallon édénique juste avant le col.
Une, encore une prairie d’altitude parsemée de fleurs et dont l’herbe semble si tendre qu’on en mangerait. Deux, les pierres aussi stupéfiantes que les fleurs. Moins colorées, plus nervurées. Comparer leurs caractères. Trois les fées, ainsi qu’on appelle les concrétions rocheuses qui se découpent sur les crêtes quand le soleil se couche à leur hauteur.
La pierre est fractale de sa montagne, et l’éblouissement de la cornée fractal du soleil derrière les nuages (la tomographie cérébrale sera fractale au second degré). À la nuit on ne marche plus. On tâte du bâton la piste blanche. La fatigue a fait redescendre d’une arcade l’inconscience de la belle santé.

« J’ai décidé de renaître, jugeant qu’il y avait encore de quoi se réjouir. Oui, cette planète était belle ; la prochaine fois j’en chercherai une autre. »


samedi 23 juin 2018

23 juin

     Un, les nuages dirigés par le mouvement des yeux, sur la droite cet amas menaçant, par ici l’orée plus claire. Et le ciel dialogue avec Binh-Dû. [Tiens, le revoilà ?] Deux, les névés traversés, ils sont au rendez-vous, comme la réassurance que tout va bien en dépit des canicules. Pour le moment encore, tout va bien. Trois, l’eau bue à la source, dont l’esprit diffuse dans tout le corps. Encore, encore. Toujours courir parmi les fleurs et les mousses tendres.

     Retour dans les cirques magiques. La fluidité souvent laisse incrédule. D’autant que la nuit fut difficile : une chèvre avait mordu la main de Binh-Dû et les outils de l’infirmière (une scie crantée bonne à tailler dans le bois une béquille) ne lui inspiraient pas confiance. La femme qui lui voulait du bien masquait visiblement la crainte qu’il lui inspirait, et ne semblait pas vouloir le guérir d’un baiser. Lui-même, que voulait-il ? Il ne ressentait aucune douleur, mais la violence.

     Aucune douleur au jour, le ciel parfait avec ses nuages idéaux. Rien d’épique dans le bien-être et la beauté. C’en est presque fini de l’escapade, on n’ira pas plus loin à l’est. L’ombre des pluies se maintient à la frontière, l’humeur égale est raisonnable. Un serpent traversa le chemin. L’homme le regarda intensément, cherchant à comprendre son message. Le serpent s’éloigna dans les rhododendrons : « Mon ami, tu avais réclamé de la clémence. »

vendredi 22 juin 2018

22 juin

Un, c’est le paradis. Une succession de vallées d’altitude entourées de pentes plus ou moins sévères au-delà desquelles le ciel... Le paradis est sous le ciel. Deux, un papillon noir dont les ailes repliées, moirées de bleu, sont en forme de delta. Il n’a rien de spectaculaire. Posé sur le dos de la main découverte, il en suce le sel. Trois, une prairie semée de boutons d’or, de violettes, de gentianes et de myosotis, et d’autres fleurs encore dont le nom importe peu. La niverolle volette au-dessus de l’embarras du choix. L’air est doux. Comme ces montagnes sont bienveillantes... Quand un dantesque coup de tonnerre ébranle l’atmosphère.
Le mantra adéquat, à chaque pas, reste « merci », même la pluie s’abat en grêlons afin de ne pas tremper l’homme qui marche. Merci pour les intempéries qui reconnaissent au lieu sa force païenne. Merci pour les égarements qui aboutissent ici, et pour la permanence des bouquetins, des marmottes et des craves à bec rouge qui passent l’hiver sans la gêne d’une présence humaine. Merci tout autant pour les pieds de l’homme, ses jambes, son cœur, le ressourcement. L’expérience recouvrée de la volonté, dissimulée des mois durant sous les inquiétudes et les velléités. Merci quand, par l’effort consenti – les bienfaits dispensés.

jeudi 21 juin 2018

21 juin

(Binh-Dû s’est fait remarquer toute une saison. Il est un peu las de son nom. Voyons si l’on peut s’en passer.)

       Un, les cumulus qui s’élèvent à la verticale dans le ciel, derrière la crête des montagnes. D’une blancheur immaculée, identique à celle des plaques de neige accrochées aux parois. Puis se délitent. Deux, les gouttes de pluie en soirée, qui soulèvent des cratères sur le chemin de sable, tant elles sont grosses ; tant elles tombent de haut. Trois, le moineau qui vient s’agripper au rebord de la vitre fermée côté passager. Pour un peu il toquerait du bec un message énigmatique.
       Reprenons : aux pylônes des télésièges offensant le regard succéda une croix plus ancienne, tout autant superflue. Mais à son pied on ne la voit plus. Un chien patou tint à gueuler haut son hostilité, je ne vais pas les bouffer, tes moutons ! Fut-il rétorqué. La pluie a attendu un moment de tranquillité sous l’abri d’un chalet pour s’abattre, le soleil brillait, cela a duré. Puis le moineau.
       (Mais la pluie n’est pas si mémorable, reléguée aux lisières si l’objectif est de retenir trois moments parmi l’abondance nouvelle – ah, quittées les villes ! –, deux aurait été le torrent traversé, si froid que les pieds d’une certaine façon sont encore dans le fond, parmi les cailloux plats.)

mercredi 20 juin 2018

20 juin

Un, le parfum du jasmin. Qui atténue la canicule à venir. Deux, le goût du pain. Nous sommes sauvés. Trois, une douche en douce.
Dans les montagnes il fait seulement chaud. Alors qu’en plaine on meurt.
La forêt escarpée incite à renoncer mais la vieillesse ne sera jamais d’actualité. Quand il était petit, Binh-Dû se persuadait qu’il ne mourrait jamais, quand il sera très âgé il découvrira qu’il avait eu raison. Il se trompait juste quant à la forme que prendrait son immortalité.
Pas âme qui vive au refuge de la cascade, mais une paire de tongs sur le seuil, des habits à sécher sur une corde tendue.
Peut-être vaudrait-il mieux mourir en compagnie que survivre seul.
Délivrer un ultime regard encourageant, dans des yeux apeurés, voilà qui serait sympathique. Beaucoup plus bas, là où la cascade s'est horizontalisée et ne laisse plus entendre qu'un murmure, Binh-Dû se couche près d'un bâtiment à ciel ouvert qui hébergera des poneys.

mardi 19 juin 2018

19 juin


Ah oui, ils se lèvent tard. En plus ils vont au cinéma. Une vieille dame robinsonne sur la plage d’une station balnéaire l’hiver, et ne s’en trouve pas plus mal, dès lors qu’un chien lui renvoie son regard et qu’elle parvient à ordonner le peu de souvenirs qui lui restent. Dans la rue, un couple d’amis surgit, leur offre des cerises. La main de la femme, gardée tendue, tenant la barquette, paraît à Binh-Dû d’une générosité inouïe. Au supermarché, des courses sont effectuées sans rien voler, saumon, avocats. Les avocats se révèlent pourris mais la salade de la veille est fraîche encore. Les mots dépixellisés libèrent des ellipses.
Ils sont en retard. Ils rejoignent les autres à un mini-concert. Puis ils se séparent, Binh-Dû et son amie. Il y a de gros morceaux de bœuf sur le barbec'. Une assiette pour lui puisqu’il est là, ça se passe comme ça. De nouveaux prénoms, aussi des courgettes du jardin. Binh-Dû fait une dernière blague, il part à la cantonade. Depuis le pont routier on les distingue encore, la grande table au bord du fleuve. C’est l’heure des éphémères. Plus nombreux sur la route qu’il n’y a d’êtres humains sur la planète. Hécatombe sur le pare-brise, Binh-Dû s’arrête, pisse sur le parterre d’un monument à la guerre. Les étoiles veillent.

lundi 18 juin 2018

18 juin


On a beau dormir sur un matelas à mémoire de forme, on ne s’en souvient pas mieux de ses rêves. Binh-Dû s’en va au lac avec cinq amis dont quatre qu’il ne connaît pas. Trois garçons et trois filles, zéro couple, c’est facile. Au lac on se baigne et on crache des noyaux de cerise le plus loin possible. Binh-Dû juge l’eau trop jaune, le soleil pas assez chaud, et son nouveau ventre disgracieux, alors c’est tout juste s’il retire ses chaussures. L’une des filles reste sur la berge elle aussi, sans que personne n’y cherche motif. Elle se tait quand les autres parlent, de choses et d’autres. Sauf à un moment vers la fin ; Binh-Dû essaie de tendre l’oreille mais il est lui-même en pleine conversation avec l’un des garçons. Au garçon, Binh-Dû déclare : « L’attention sincère que tu portes aux autres, elle se voit, c’est de la pacification préventive ». Quoique cela témoigne, il y a des éclats de rire qui se perdent. Le soir, Binh-Dû et son amie se souviennent qu’il leur reste du travail à accomplir, c’est même la raison de sa venue ici. La bougie colle son fond de mèche à la table. C’était comme un dimanche à la campagne. Il est quatre heures du matin.