mardi 3 juillet 2018

3 juillet


Faudra-t-il se résoudre aux fantasmes ? Le corps alangui dans la douceur de l’été ne suffirait-il plus ? Ce regard singulier, ce désir, cet esprit et cette âme. Mais le regard déjà ouvre l’imagination, quel que soit le lieu, un lit approprié, une clairière tapissée de mousse tendre sous les frondaisons, un repli de dune. L’autre n’est jamais seulement lui-même (et reste à découvrir qui moi-même je suis). L’autre est un découvert autorisé, sous conditions, un interdit modulable. Un animal sauvage qui consent à se laisser approcher, mais qui pourrait changer d’avis. À moins que l’animal sauvage, ce ne soit moi. Ou que tous deux nous soyons sauvages et animaux, ou que nous soyons humains, nous serions frère et sœur. Nous serions deux amants engagés ailleurs. Une main posée sur la peau inconnue redéfinirait le corps tout entier, donnerait naissance instantanée. La chair serait indéfectiblement inconnue, comme une promesse d’éternité. Puis tout se joindrait en un éclair de connaissance. Ce ne serait pas jouissance encore, mais prémices de plaisir suprême. Il y aurait même un zeste de revanche que cela ne gâterait rien ; l’exercice du pouvoir est une résolution.

lundi 2 juillet 2018

2 juillet

À l’heure vespérale, aucun loup ne hante les quartiers résidentiels. Nul chien, non plus que leurs hommes, où sont-ils tous passés ? Dans le ciel les martinets saluent la descente du soleil, comme ils saluèrent son apparition, son apogée, tous les moments de la journée. Hors d’atteinte, dans leur dimension parallèle. Voici un jeune couple se tenant par la main, souriant un « Bonsoir » au passage. Un air d’anomalie. (Ce fut jadis un temps de promenade entre mère et fils, un avant-goût du sommeil.) La télévision est sans doute allumée derrière les vitrages renforcés, au bout des allées arborées. Il y a sans doute des habitants, malgré leur discrétion.
C’est un soir d’encombrants, jonchés sur les trottoirs, aubaine pour les chiffonniers qui tardent encore à s’extraire des bouchons du périf. Ça sent la cave et le bois pourri. Le chat qui manquait est à demi tapi sous une voiture, il observe le mouvement saccadé de la paire de lacets qui lui passe sous le nez. Et le chien remonté du loup se prélasse sur le balcon d’un troisième étage, une patte nonchalamment glissée entre les barreaux. « Tu l’as dit, ne dis pas que tu ne l’as pas dit ! » crie une femme à sa fenêtre, tandis que tombe de ses doigts la cendre d’une cigarette. La paix est aussi précaire qu’est immuable l’obscurcissement du jour.

dimanche 1 juillet 2018

1er juillet


Le feu sacré brûle dans ses yeux. Ses pupilles sont dilatées comme par excès de drogues mais c’est simplement l’intensité qu’elle met à vivre, même quand elle est fatiguée ou mélancolique ou entre deux explosions de vitalité. Le feu sacré brûle dans ses pieds. Sa pointure lui permet de s’insinuer dans un trou de spectateurs mais pas de voir par-dessus leurs épaules. Souvent elle renverse les pôles et alors ses pieds montent plus haut qu’on ne saurait lever les nôtres, indécrottables terre-à-terre que nous sommes.
Les magasins en solde révèlent que rien de désirable ne se vend moins cher que ce que l’on aurait acheté un autre jour. Mais il y a foule, et dans cette foule l’idée traverse qu’on rencontrera quelqu’un d’imprévu. En guise de qui, des regards de vigiles ou d’inconnus vaguement curieux. C’est un peu plus tard, quand on ne s’y attend plus, que survient une parfaite coïncidence, un signe du hasard qu’il serait sot de négliger. Le feu couve, elle cherche son propre flambeau, qui la guidera. Patience, les rêves s’accorderont jusqu’à l’éloquence.

samedi 30 juin 2018

30 juin

Usées jusqu’à la corde, et cela ne suffit pas, il faut encore que tombe la pluie. Sorties du placard elles ont pauvre allure, une araignée morte depuis longtemps a tissé sa toile dans l’embouchure et y a retenu des moutons de poussière. Et pourtant leur mémoire de forme est d’une fidélité à toute épreuve, on pourrait y couler du bronze et l’on se retrouverait avec deux pieds jumeaux des deux nôtres, pesant leur poids de postérité. Ces pieds-là resteraient sans broncher au fond du torrent de montagne, au lieu que les orteils de chair, saisis, se recroquevillent.
Car elles font éponge sur le bitume, c’est confirmé. Mieux vaudrait les enlever et marcher pieds nus. D’un geste auguste, on les laisserait tomber par leurs lacets effilochés dans une poubelle transparente, et l’on serait libre, enfin. Comme s’il ne s’agissait pas toujours de cela... Les torrents de montagne entament leur crue à des centaines de kilomètres, là où se canalisent les habitudes. Ici, nos contraintes ont nom consommation ou endettement. Pourtant il s’agit bien de se mouvoir, la porte est ouverte, l’air du dehors est frais. Sous la douche doucement tiède effacer la déteinte.

vendredi 29 juin 2018

29 juin

Le sourire le plus franc est un mystère. Il y a une vérité cachée derrière, qui ne passe pas par les mots, soient-ils seulement pensés. Ceux qui sourient, eux-mêmes ignorent l’étendue de ce qu’ils savent. C’est une connaissance lointaine, transmise au fil des générations à l’insu de ses gardiens, l’idée originelle que nous serions tous frères. À chacun de nous, naissance a été donnée, et depuis lors les sourires qu’on nous adresse perpétuent ce don, nous voudrions confusément nous blottir contre le sein d’une mère.
Vient l’attente, qui semble ne pouvoir jamais être comblée. On s’en satisfait dans un mouvement de flux et de reflux. On s’y complaît parfois, à distance les filles sont déjà si jolies ! On va de trop tard en trop tard, et cela pourrait durer toute une vie. Mais se dégager du flux est une autre affaire. La fougère devient fossile, on passe au temps géologique, on se perd dans le temps cosmique. Y a-t-il encore quelqu’un par ici, pour un sourire qui ne soit distraction ou réflexe reptilien, sommes-nous encore de ce monde ?

jeudi 28 juin 2018

28 juin

Quand tu marches tu n’attends pas, tournerais-tu en cercle. Cela peut durer toute une journée sous le soleil, à s’en cramer le crâne, tu n’attendras pas. Ou tu seras en train d’attendre, ce qui n’est pas attendre. Allons plus loin : cesse de marcher, reste dehors. Le souffle de vent sur ta joue, comme par l’effet de ton propre déplacement, te démontre que tu n’attends pas. Et s’il n’y a pas de vent, il y aura autre chose, un papillon, un son, l’hypothétique imminence d’un désir. Même tu t’endormirais, ce ne serait plus attente. Ne parlons pas de mourir.
Du temps où tu portais les cheveux longs tu aurais pu voir le monde d’un peu plus haut mais tu marchais voûté. Ce n’était pas désagréable, tu ne ressentais aucune douleur. Tu voyais en coin ce que la plupart des gens ne soupçonnaient pas, leur position relative dans l’espace. Leur arrivisme. Toi tu ne te souciais guère d’arriver quelque part, hormis au creux d’un sexe mythifié. L’amour était un pari amoureux. Depuis tu as réaligné ta cambrure, selon des principes ergonomiques. On pourrait te juger guindé. Mais toi tu sais qu’il n’est plus temps – d’attendre.

mercredi 27 juin 2018

27 juin

Il faudrait mettre en lien l’attente. Non pas l’attente de quoi, de qui, mais l’attente pourquoi. Ou comment ne pas attendre. Il doit bien y avoir une alternative à la défaite – qui ne soit pas non plus banale ou médiocre victoire.
On peut entendre à vingt mètres de distance, fenêtres ouvertes, le son caractéristique d’un coupe-ongles. Dans le règne de l’attente il y a agacement. L’alternative serait une averse soudaine noyant le bruit sous le bruit.
La non-attente se tient parfois à l’intersection de l’observation et du discours. Le corps contredit la fiction, ou c’est la fiction qui est en avance. L’averse tombe mais doucement, moins puissante qu’un cliquetis de clavier.
Ou l'attente signifie peu. Elle demeure absconse, un dépit, une tristesse, l'amorce d'une supposition. Les filles sont jolies et voilà tout. D'autres jeunes hommes paradent, chacun son style. L'attente, c'était l'espérance.