Faudra-t-il
se résoudre aux fantasmes ? Le corps alangui dans la douceur de l’été ne
suffirait-il plus ? Ce regard singulier, ce désir, cet esprit et cette
âme. Mais le regard déjà ouvre l’imagination, quel que soit le lieu, un lit
approprié, une clairière tapissée de mousse tendre sous les frondaisons, un
repli de dune. L’autre n’est jamais seulement lui-même (et reste à découvrir
qui moi-même je suis). L’autre est un découvert autorisé, sous conditions, un
interdit modulable. Un animal sauvage qui consent à se laisser approcher, mais
qui pourrait changer d’avis. À moins que l’animal sauvage, ce ne soit moi. Ou
que tous deux nous soyons sauvages et animaux, ou que nous soyons humains, nous
serions frère et sœur. Nous serions deux amants engagés ailleurs. Une main
posée sur la peau inconnue redéfinirait le corps tout entier, donnerait
naissance instantanée. La chair serait indéfectiblement inconnue, comme une
promesse d’éternité. Puis tout se joindrait en un éclair de connaissance. Ce ne
serait pas jouissance encore, mais prémices de plaisir suprême. Il y aurait
même un zeste de revanche que cela ne gâterait rien ; l’exercice du
pouvoir est une résolution.
mardi 3 juillet 2018
lundi 2 juillet 2018
2 juillet
À l’heure vespérale, aucun loup ne hante les quartiers résidentiels.
Nul chien, non plus que leurs hommes, où sont-ils tous passés ? Dans le
ciel les martinets saluent la descente du soleil, comme ils saluèrent son
apparition, son apogée, tous les moments de la journée. Hors d’atteinte, dans
leur dimension parallèle. Voici un jeune couple se tenant par la main, souriant
un « Bonsoir » au passage. Un air d’anomalie. (Ce fut jadis un temps
de promenade entre mère et fils, un avant-goût du sommeil.) La télévision est
sans doute allumée derrière les vitrages renforcés, au bout des allées
arborées. Il y a sans doute des habitants, malgré leur discrétion.
C’est un soir d’encombrants, jonchés sur les trottoirs, aubaine pour
les chiffonniers qui tardent encore à s’extraire des bouchons du périf. Ça sent
la cave et le bois pourri. Le chat qui manquait est à demi tapi sous une
voiture, il observe le mouvement saccadé de la paire de lacets qui lui passe
sous le nez. Et le chien remonté du loup se prélasse sur le balcon d’un
troisième étage, une patte nonchalamment glissée entre les barreaux. « Tu
l’as dit, ne dis pas que tu ne l’as pas dit ! » crie une femme à sa
fenêtre, tandis que tombe de ses doigts la cendre d’une cigarette. La paix est
aussi précaire qu’est immuable l’obscurcissement du jour.
dimanche 1 juillet 2018
1er juillet
Le feu sacré brûle dans ses yeux. Ses pupilles sont dilatées comme par
excès de drogues mais c’est simplement l’intensité qu’elle met à vivre, même
quand elle est fatiguée ou mélancolique ou entre deux explosions de vitalité.
Le feu sacré brûle dans ses pieds. Sa pointure lui permet de s’insinuer dans un
trou de spectateurs mais pas de voir par-dessus leurs épaules. Souvent elle
renverse les pôles et alors ses pieds montent plus haut qu’on ne saurait lever
les nôtres, indécrottables terre-à-terre que nous sommes.
Les magasins en solde révèlent que rien de désirable ne se vend moins
cher que ce que l’on aurait acheté un autre jour. Mais il y a foule, et dans
cette foule l’idée traverse qu’on rencontrera quelqu’un d’imprévu. En guise de
qui, des regards de vigiles ou d’inconnus vaguement curieux. C’est un peu plus
tard, quand on ne s’y attend plus, que survient une parfaite coïncidence, un
signe du hasard qu’il serait sot de négliger. Le feu couve, elle cherche son
propre flambeau, qui la guidera. Patience, les rêves s’accorderont jusqu’à
l’éloquence.
samedi 30 juin 2018
30 juin
Usées jusqu’à la corde, et cela ne suffit pas, il faut encore que tombe
la pluie. Sorties du placard elles ont pauvre allure, une araignée morte depuis
longtemps a tissé sa toile dans l’embouchure et y a retenu des moutons de
poussière. Et pourtant leur mémoire de forme est d’une fidélité à toute
épreuve, on pourrait y couler du bronze et l’on se retrouverait avec deux pieds
jumeaux des deux nôtres, pesant leur poids de postérité. Ces pieds-là
resteraient sans broncher au fond du torrent de montagne, au lieu que les
orteils de chair, saisis, se recroquevillent.
Car elles font éponge sur le bitume, c’est confirmé. Mieux vaudrait les
enlever et marcher pieds nus. D’un geste auguste, on les laisserait tomber par
leurs lacets effilochés dans une poubelle transparente, et l’on serait libre,
enfin. Comme s’il ne s’agissait pas toujours de cela... Les torrents de
montagne entament leur crue à des centaines de kilomètres, là où se canalisent
les habitudes. Ici, nos contraintes ont nom consommation ou endettement. Pourtant
il s’agit bien de se mouvoir, la porte est ouverte, l’air du dehors est frais.
Sous la douche doucement tiède effacer la déteinte.
vendredi 29 juin 2018
29 juin
Le sourire le plus franc est un mystère. Il y a une vérité cachée
derrière, qui ne passe pas par les mots, soient-ils seulement pensés. Ceux qui
sourient, eux-mêmes ignorent l’étendue de ce qu’ils savent. C’est une
connaissance lointaine, transmise au fil des générations à l’insu de ses
gardiens, l’idée originelle que nous serions tous frères. À chacun de nous, naissance
a été donnée, et depuis lors les sourires qu’on nous adresse perpétuent ce don,
nous voudrions confusément nous blottir contre le sein d’une mère.
Vient l’attente, qui semble ne pouvoir jamais être comblée. On s’en
satisfait dans un mouvement de flux et de reflux. On s’y complaît parfois, à
distance les filles sont déjà si jolies ! On va de trop tard en trop tard,
et cela pourrait durer toute une vie. Mais se dégager du flux est une autre
affaire. La fougère devient fossile, on passe au temps géologique, on se perd
dans le temps cosmique. Y a-t-il encore quelqu’un par ici, pour un sourire qui
ne soit distraction ou réflexe reptilien, sommes-nous encore de ce monde ?
jeudi 28 juin 2018
28 juin
Quand tu marches tu n’attends pas, tournerais-tu en cercle. Cela peut
durer toute une journée sous le soleil, à s’en cramer le crâne, tu n’attendras
pas. Ou tu seras en train d’attendre,
ce qui n’est pas attendre. Allons plus loin : cesse de marcher, reste
dehors. Le souffle de vent sur ta joue, comme par l’effet de ton propre
déplacement, te démontre que tu n’attends pas. Et s’il n’y a pas de vent, il y
aura autre chose, un papillon, un son, l’hypothétique imminence d’un désir.
Même tu t’endormirais, ce ne serait plus attente. Ne parlons pas de mourir.
Du temps où tu portais les
cheveux longs tu aurais pu voir le monde d’un peu plus haut mais tu marchais
voûté. Ce n’était pas désagréable, tu ne ressentais aucune douleur. Tu voyais
en coin ce que la plupart des gens ne soupçonnaient pas, leur position relative
dans l’espace. Leur arrivisme. Toi tu ne te souciais guère d’arriver quelque
part, hormis au creux d’un sexe mythifié. L’amour était un pari amoureux.
Depuis tu as réaligné ta cambrure, selon des principes ergonomiques. On
pourrait te juger guindé. Mais toi tu sais qu’il n’est plus temps – d’attendre.
mercredi 27 juin 2018
27 juin
Il faudrait mettre en lien l’attente. Non pas l’attente de quoi, de
qui, mais l’attente pourquoi. Ou comment ne pas attendre. Il doit bien y avoir
une alternative à la défaite – qui ne soit pas non plus banale ou médiocre
victoire.
On peut entendre à vingt mètres de distance, fenêtres ouvertes, le son
caractéristique d’un coupe-ongles. Dans le règne de l’attente il y a agacement.
L’alternative serait une averse soudaine noyant le bruit sous le bruit.
La non-attente se tient parfois à l’intersection de l’observation et du
discours. Le corps contredit la fiction, ou c’est la fiction qui est en avance.
L’averse tombe mais doucement, moins puissante qu’un cliquetis de clavier.
Ou l'attente signifie peu. Elle demeure absconse, un dépit, une tristesse, l'amorce d'une supposition. Les filles sont jolies et voilà tout. D'autres jeunes hommes paradent, chacun son style. L'attente, c'était l'espérance.
Inscription à :
Articles (Atom)